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C'est dans la colonne de droite tout en bas...

7 septembre 2017 4 07 /09 /septembre /2017 12:49

Alors que l'état d'urgence perdure, le débat législatif continue. Associations, collectifs et partis invitent à une mobilisation contre cet état d'urgence permanent qui ne constitue pas un outil efficace de lutte contre le terrorisme mais continue à nous priver de nos libertés. Des manifestations ont lieu ce 10 septembre à Nantes, Strasbourg, Nice, et Paris - à 15h au métro Père-Lachaise. Soyons nombreuses et nombreux dans la rue ce jour là pour rappeler notre opposition. Lire aussi Etat d'urgence : sans retour ? et L’état d’urgence sert à restreindre le droit de manifester, constate Amnesty International.

N’enterrez pas nos libertés !

L'état d'urgence a été renouvelé jusqu’à début novembre par le parlement. Or il a largement démontré son inefficacité contre les attentats. Il a été dévoyé contre les mouvements sociaux et les militant.e.s, contre les musulman.e.s ou supposés l’être, contre les migrant.e.s et leurs soutiens, contre les habitant.e.s des quartiers populaires, contre les mineur.e.s et les jeunes majeur.e.s. Des centaines d’interdictions de manifester ont été délivrées. Les discriminations et contrôles au faciès se sont multipliés et avec eux, des violences policières. La France est le seul pays d'Europe à avoir instauré l'état d'urgence en réponse aux attentats.
Au prétexte d’y mettre fin, le gouvernement Macron présente un projet de loi reprenant dans la loi commune les principales mesures de l’état d’urgence. Il instaurerait ainsi un état d’urgence permanent :

  • Le préfet pourrait créer des périmètres de « protection » dans la rue, dont l’étendue et la durée, fixée à un mois renouvelable, seraient laissées à son libre arbitre. Ils donneraient lieu à des fouilles de véhicules, de bagages et à des palpations par la police municipale ou des agents de sécurité privés. Ce nouveau quadrillage de l’espace public imposerait une limitation dangereuse de l’expression culturelle, sociale et politique dans notre pays. Cela viserait à bâillonner le mouvement social qui s’annonce face aux attaques contre la protection sociale, les droits des salarié.e.s, les services publics, les APL, et les manifestations de solidarité internationale…
  • Le projet de loi introduit dans le droit commun les assignations à résidence et bracelets électroniques, les perquisitions 24h sur 24, les perquisitions informatiques, à l’initiative du préfet ou du ministre de l’Intérieur sur des critères vagues et des éléments provenant des services de renseignements tels que les notes blanches anonymes.
  • Les contrôles dans les gares et les zones frontalières seraient renforcés ciblant essentiellement les migrant.e.s et les stigmatisant encore davantage.
  • Sur simple suspicion, les fermetures de certains lieux de culte seraient facilitées- …

Le projet de loi est examiné en procédure accélérée, il a été discuté le 18 et le 19 juillet au Sénat et passera en septembre à l’Assemblée.
N’acceptons pas la mise à mal des garanties judiciaires !
Non à la rupture avec l’état de droit et la séparation des pouvoirs !
Ne tolérons pas la bascule dans l’arbitraire et la restriction de nos libertés individuelles et collectives !
Contre l’instauration d’un état d’urgence permanent !

Pour nos droits et nos libertés !
Dimanche 10 septembre,
Manifestons partout en France !

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5 septembre 2017 2 05 /09 /septembre /2017 09:04

Assemblée générale des citoyen-nes, élu-es, associations, collectifs, favorables à la gestion publique des territoires Grand Orly-Seine-Bièvre, Est Ensemble et Plaine commune. Retrouvons-nous vendredi 8 septembre à 19h à l’Hôtel de ville de Bagnolet (salle du conseil municipal), Métro Galliéni. Par la Coordination Eau Île-de-France. Lire aussi  Pour une gestion publique, démocratique et écologique de l'eau sur la campagne lancée par EELV 93, et Une nouvelle manœuvre pour faire taire les défenseurs du droit à l’eau.

L’eau publique, c’est maintenant !

C’est dans les toutes prochaines semaines que les décisions concernant l’avenir de la gestion de l’eau vont être prises. Dans chacun de nos trois territoires, des avancées vers la gestion publique peuvent être réalisées. Ensemble, faisons le point de la situation dans chaque territoire et créons une dynamique citoyenne et collective pour l’emporter.

Nous avons une occasion unique d’affaiblir la domination des multinationales de l’eau en région parisienne, saisissons-la. Déverrouiller le système actuel, c’est aussi renforcer l’expression des citoyen-nes et la libre gestion par les collectivités.

Tout l’enjeu est de nous appuyer les uns sur les autres et de prendre des initiatives communes et fortes pour faire nous faire entendre et faire bouger les lignes.  

Vous avez des questions ? Ce sera le moment de les poser. Des arguments, des idées, des propositions ? Ce sera le moment de les partager. La voix de chacun-e va compter ! Nous avons besoin de tou-tes.

N’hésitez pas à faire passer cette invitation à votre réseau, à vos ami-es…

Rappel des derniers épisodes :

Plaine commune: vraie « fausse note »

Patrick Braouezec, président de Plaine commune, pratique-t-il le double langage? Présent dans nombre de Forums sociaux mondiaux,  depuis leur création, accueillant même à l’occasion un Forum social européen (en 2003), son territoire déroule en même temps le tapis rouge à la multinationale Veolia qui a installé son siège social à Aubervilliers en 2016, à Vinci et à bien d’autres…

Cette ambiguïté, le mot est faible, se confirme une nouvelle fois en ce qui concerne la gestion de l’eau. Dans une note au bureau territorial du 5 juillet, Plaine commune prévoit sa ré-adhésion au SEDIF, dès le 26 septembre. Une position qui a bien du mal à passer notamment à Saint-Denis et à Aubervilliers où se développe au sein de la population, des associations et des élu-es de différentes tendances politiques, un mouvement de résistance à la privatisation de la gestion de l’eau. Analyse d’une vraie « fausse note » aux arguments éculés.

https://i1.wp.com/eau-iledefrance.fr/wp-content/uploads/2017/08/plaineCommune.gif?resize=198%2C96

La note au bureau territorial du 5 juillet 2017 affirme tout d’abord « la régie publique directe semble permettre d’assurer une meilleure gestion publique de l’eau« . Nous retenons notre souffle… Un vent d’insoumission soufflerait-il sur Plaine commune? Il suffit de tourner la page pour s’apercevoir qu’il n’en est rien.  Un large satisfecit est accordé au SEDIF (auquel Plaine commune est adhérente depuis 2003)  « Les installations de production et de distribution présentent des résultats très satisfaisants« .  Visiblement le rapport de la chambre régionale des comptes épinglant la gestion du SEDIF dérapant au plus grand bénéfice de Veolia, n’est pas arrivé jusqu’à Plaine commune… Concernant le tarif, « la part potable payée par les usagers du SEDIF s’élève à 1,37 € /m3 au 1er janvier 2017 et ne représente qu’une petite partie du prix de l’eau » Le qualificatif « petite » est sans doute trop modeste: c’est grosso modo un tiers de la facture (le reste étant l’assainissement et les taxes prélevées par l’agence de l’eau) et surtout, c’est bien plus cher qu’Eau de Paris (LIRE ICI comment s’explique la différence de tarif entre Eau de Paris et le SEDIF).

La possibilité d’une sortie du SEDIF des communes qui le souhaiteraient, on peut imaginer que ce soit le cas de Saint-Denis,  est d’emblée écartée par la note: « la possibilité d’une adhésion partielle au SEDIF par l’EPT, différenciée par commune, n’est donc pas pertinente ; elle présente aussi plusieurs fragilités juridiques et des conséquences techniques et financières très complexes à gérer. » Plaine commune ne semble pas avoir eu connaissance non plus de l’étude juridique réalisée par le cabinet d’avocats Seban pour le territoire Grand Orly Seine Bièvre qui démontre tout le contraire. La complexité technique et financière est l’argument classique des élu-es qui ne veulent pas s’occuper de la gestion de l’eau et préfèrent se décharger de leurs responsabilités en la confiant au privé.

Suivent ensuite des vœux pieux,  concernant « un prix de l’eau unique à l’échelle du bassin versant » dont nous sommes forts éloignés aujourd’hui: comment comptent s’y prendre les experts de Plaine commune pour parvenir à cet objectif? Ou encore, « La gouvernance du service public de l’eau doit s’appuyer sur des élus représentant l’établissement public territorial  pour les décisions relatives à l’eau, en prenant en compte les poids des territoires »; rappelons que dans la vraie vie, au SEDIF, il en va tout autrement: une ville comme Saint-Denis avec plus de 100 000 habitants a le même poids (un élu) qu’une ville comme Margency (Val d’Oise) avec ses …3000 habitants! Cherchez l’erreur!

Mais où est cohérence entre la forte satisfaction affichée  vis à vis du SEDIF et des  propositions de refonte radicale de son fonctionnement? Si tout va bien, pourquoi vouloir tout changer? S’il faut changer en profondeur, le système actuel convient-il si bien?

La fin est sans équivoque: « En définitive, il est proposé que Plaine Commune adhère au SEDIF ».  Comme la pilule est sans doute difficile à faire passer pour ces grands défenseurs du service public (dans les forums internationaux en tout cas),  il est proposé que « l’échéance de la fin de la délégation de service public (DSP) en 2022 soit  l’occasion d’un retour en régie publique directe, au sein de ce syndicat. » Rappelons ce qu’a valu l’engagement pro-régie des élus communistes et socialistes  au moment du précédent renouvellement de la DSP en 2008; une bonne partie d’entre eux avait alors voté, à bulletin secret, la continuation de la DSP! M. Poux, vice-président (PCF) de Plaine commune et du SEDIF, et maire de La Courneuve, avait ensuite, lors du choix de l’entreprise délégataire, fait part de son « abstention positive » en faveur de Veolia! Il n’y a pas de majorité en faveur d’une régie publique au sein du SEDIF, il s’agit donc d’une pure clause de style pour mieux faire passer le choix du SEDIF, c’est à dire de Veolia.

De son côté, Kader Chibane, vice-président de Plaine commune et président du groupe des élus EELV de Saint-Denis notait, lors d’une réunion publique à Est Ensemble le  7 juillet que l’adhésion au SEDIF est irréversible. Si la sortie du SEDIF est possible en théorie à tout moment, elle est pratiquement et politiquement impossible, car il faut l’approbation d’une majorité qualifiée des deux tiers des membres du SEDIF pour en sortir ! On ne pourra pas en sortir en 2022, échéance de fin du contrat entre le SEDIF et Veolia, c’est un leurre repris par ceux qui ne veulent pas sortir du SEDIF.

C’est donc maintenant que se présente la vraie occasion pour avancer vers la gestion publique. Et pour un certain nombre d’élu-es, de mettre en concordance leurs discours et leurs actes. La pression citoyenne doit monter encore pour éviter le retour au SEDIF. Elle a déjà permis d’empêcher le vote de l’adhésion au SEDIF, mis déjà deux fois à l’ordre du jour du conseil territorial, en catimini, et deux fois retiré au dernier moment. Pour couper court au débat qui monte, Plaine commune prévoit maintenant de faire voter l’adhésion au SEDIF dès le mardi 26 septembre! Seule la mobilisation citoyenne peut mettre en échec ce mauvais plan.

Lire aussi Est Ensemble: la pression citoyenne monte http://eau-iledefrance.fr/elu-es-et-citoyen-nes-sont-au-rdv/, et Grand Orly-Seine-Bièvre: le chemin s’éclaire et s’élargit http://eau-iledefrance.fr/le-chemin-seclaire-et-selargit/.

Coordination Eau Île-de-France.

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4 septembre 2017 1 04 /09 /septembre /2017 12:04

Plutôt que de contempler la destruction du monde, tentons de comprendre à quelles conditions il est possible de vivre dans les ruines du capitalisme. C’est le point de départ d’un livre magistral, Le champignon de la fin du monde, de l’anthropologue Anna L. Tsing. Par Jade Lindgaard le 3 septembre 2017 pour Mediapart.

Le monde est un champignon sauvage dans une forêt détruite

Catastrophe, désastre, effondrement, anthropocène : un glossaire de la destruction a envahi les tribunes de journaux et les rayons de bibliothèque des lecteurs sensibles aux conséquences délétères des dérèglements climatiques et du capitalisme.

Que faire de ce savoir sur les démolitions en cours ? Le point de départ d’un voyage à travers les ruines du monde pour comprendre comment, malgré tout, on continue d’y vivre, propose l’anthropologue Anna L. Tsing dans un livre extraordinaire, tout juste traduit en français, Le champignon de la fin du monde. Et pour suivre ce grand dessein, la chercheuse choisit de raconter l’histoire d’un champignon sauvage, le matsutake.

La particularité de cette espèce rare est de pousser dans les forêts qui ont été surexploitées par les humain.e.s. « Comme les rats, les ratons-laveurs et les cafards, ils sont prêts à supporter une partie du désordre environnemental que les humains ont créé », explique-t-elle en introduction. Le matsutake apprécie les forêts de l’Oregon, sur la côte ouest des États-Unis, victimes de déboisement intensif au XXe siècle. La disparition des arbres les plus grands et les plus forts a laissé la place aux pins, qui sont l’espèce compagne du matsutake. Mythifié au Japon pour sa rareté et son arôme singulier, il fait l’objet d’un commerce international lucratif et codifié. Il est donc aussi un véhicule de mondialisation. Au fil des pages, le petit champignon prend de l’épaisseur sous la plume de l’auteure : espèces survivante, délice gastronomique, figure poétique, objet de spéculation. Il est tout à la fois être discret de la forêt et témoin direct des transformations du système de production de valeurs.

Partie en promenade de cueillette dans les bois au début du livre, Tsing rencontre des migrants du Sud-Est asiatique qui vivent de la vente du matsutake, si difficile à dénicher sous l’humus des feuilles. À sa surprise, elle découvre que des Mien, Hmong et Lao reconstituent dans la forêt américaine des campements villageois semblables à ceux qu’ils ont connu de l’autre côté du Pacifique, souvent sur les routes de l’exil. Dans la forêt américaine, ils côtoient d’anciens soldats de la guerre du Vietnam, des hippies et des survivalistes qui, eux aussi, y ont trouvé un refuge. Autour du champignon, des communautés de vies précaires se sont reconstituées. La chercheuse part à leur rencontre sur d’autres continents : en Chine, au Japon, en Finlande. Son texte palpite de bruits forestiers et de voix aux accents multiples, habitées de mille manière par un incroyable enchevêtrement d’humain.e.s, de végétaux et d’animaux, les « plus qu’humains » que décrit David Abram dans un autre livre prodigieux de cette même collection dirigée par Philippe Pignarre : Comment la terre s’est tue (La Découverte).

Le matsutake est le guide d’Anna L. Tsing dans son périple, mais il n’est pas le but de sa recherche. À quelles conditions la vie est-elle toujours possible dans les ruines du capitalisme ? La question organise tout son récit. La chercheuse récolte des réponses, qu’elle amène par petites touches, en de courts chapitres, tissés de descriptions de choses vues. Cette forme n’est pas fortuite. Car une des grandes idées du livre est d’interroger la notion d’échelle : nul besoin qu’une expérience soit systémique pour qu’elle vaille la peine d’être observée, partagée et reconnue.

Elle propose de réfléchir en termes de « scalabilité », c’est-à-dire « la capacité d’un projet à changer d’échelle sans problème, c’est-à-dire sans que se modifie en aucune manière le cadre qui définit ce projet ». Une entreprise garde la même organisation même si elle se met à produire beaucoup plus, une recherche scientifique ne prend en compte que les données avalisées par les pairs. C’est un problème, car la scalabilité élimine la diversité, celle « qui pourrait bouleverser l’ordre des choses ». Tsing s’appuie sur l’exemple de la plantation coloniale qui a inspiré les formes de l’industrialisation et de la modernisation. Les Européens ont planté la même canne à sucre, clonée et interchangeable, partout. Elle n’avait pas d’espèces compagnes dans le Nouveau Monde. Les esclaves africains exploités dans les plantations étaient eux aussi parfaitement isolés de l’extérieur. Le système les déshumanisait et les rendait interchangeables. Il était scalable : les plantations pouvaient grandir et s’étendre, et leur régime d’aliénation avec elles. « Cette formule a donné sa forme aux rêves que nous avons appelés progrès et modernité », décrit Tsing.

Anna L. Tsing, anthropologue à l'université de Californie, Santa Cruz

Anna L. Tsing, anthropologue à l'université de Californie, Santa Cruz

La forêt de matsutake propose une expérience inverse : le fameux champignon « ne peut pas vivre en dehors de ses relations transformatrices avec les autres espèces. Ils sont la structure reproductrice d’un système souterrain qui ne s’associe qu’à certains arbres de la forêt. Les matsutake permettent à leurs abris hôtes de vivre sur des sols pauvres sans humus. En échange ils sont nourris par les arbres. Ce mutualisme transformatif a rendu impossible la culture humaine du matsutake. Il résiste au système de type plantation. Il a besoin de la diversité dynamique et multispécifique de la forêt avec laquelle il peut nouer des rapports cordiaux de contamination ». Tsing refuse de considérer comme mauvais ce qui est scalable et bon ce qui ne l’est pas. C’est la diversité, l’indétermination, la précarité qui se jouent dans ces agencements qui l’intéressent. Une force incroyable peut y naître, mais « elle peut aussi disparaître en un instant ».

À partir de là, de nouveaux savoirs deviennent possibles : donner de la valeur aux contaminations vues comme des formes métisses de collaboration, reconnaître l’existence de « communs latents » dans les écosystèmes et de pratiques de coopération qui ne sont pas exclusivement humaines. Ainsi, la chercheuse développe au fil de son texte, ponctué de photos prises sur le terrain, comme dans un carnet de travail, l’idée que le changement social ne peut plus se penser sans la collaboration des humain.e.s avec les autres êtres vivants. Que les savoirs précaires, les pratiques fragiles peuvent être aussi importants que les grandes théories bien carrées. Que pour comprendre ces réalités mouvantes, il ne faut pas seulement produire des enquêtes scientifiques, il faut aussi savoir écouter et raconter des histoires.

« À la question de la possibilité de vie dans les ruines du capitalisme, il n’y a pas de réponse globale, analyse la philosophe Isabelle Stengers en préface du livre. Les ruines, lieux de rencontres marquées par la contingence, de connexions marquées par la précarité, ne donnent pas d’assurance et le livre de Tsing n’en donne pas non plus. » De l’ouvrage, elle extrait la notion de « viabilité » : « La question “est-ce viable ?” sera peut-être la question rationnelle par excellence », écrit-elle. Viable pour qui et aux dépends de quoi ? Chaque piste ouverte par le livre de Tsing amorce de nouvelles questions.

Ce monde fragile et coopératif qui se fabrique autour du matsutake n’est ni un modèle ni une dystopie. Il présente des aspects admirables (courage des chercheurs de champignons, solidarité des bivouacs, amour de ses admirateurs pour la beauté des saisons) et des revers (cynisme commercial, défense de son territoire). Tsing ne le juge pas. Elle le repère et elle le situe sur la carte des lieux d’expérimentations sociales. Elle invite son lecteur à déplacer son regard sur son environnement direct et à y déceler les agencements entre humain.e.s et non-humain.e.s, entre survie économique et liberté subjective, entre rationalisation et émotion. Le texte et les images qu’il convoque continuent de vous habiter bien après en avoir terminé la lecture. Petit à petit, le matsutake vous prend dans ses filets.

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2 septembre 2017 6 02 /09 /septembre /2017 09:05
Des environnementalistes brandissent des maquettes de papillons géants à côté d'un immense spray de désherbant au glyphosate devant la porte de Brandebourg à Berlin, le 8 février 2017 ( dpa/AFP/Archives / Britta Pedersen )

Des environnementalistes brandissent des maquettes de papillons géants à côté d'un immense spray de désherbant au glyphosate devant la porte de Brandebourg à Berlin, le 8 février 2017 ( dpa/AFP/Archives / Britta Pedersen )

Jamais avare de surprises, le feuilleton scientifico-réglementaire du glyphosate continue : le ministère de la transition écologique et solidaire a indiqué à l'Agence France-Presse que Paris s'opposerait à la proposition de la Commission européenne de remettre en selle pour dix ans l'herbicide controversé, " en raison des incertitudes qui demeurent sur sa dangerosité ".

Un vote des États membres, en comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, est prévu avant la fin de l'année et l'expiration de l'autorisation du pesticide sur le Vieux Continent. " La Commission ne cherchera pas à réautoriser le glyphosate sans une majorité qualifiée des États membres - obtenue avec le soutien de 55  % des États membres représentant 65  % de la population de l'Union - ", fait-on valoir à Bruxelles. Aucune date n'a été arrêtée pour le vote et les discussions se poursuivent.

Débuté il y a plus de quatre ans, le processus de réhomologation de l'herbicide – principe actif du désherbant Roundup et substance phytosanitaire la plus utilisée en Europe et dans le monde – a déraillé en mars  2015 avec le classement du glyphosate dans la catégorie " cancérogène probable " pour l'homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l'agence de l'Organisation mondiale de la santé chargée d'inventorier les causes de la maladie. L'agence onusienne prenait ainsi le contre-pied des évaluations diligentées par l'Europe.

Expertises irréconciliables

Devant ces divergences d'expertises, les États membres ne se sont pas accordés. En  2016, la France et Malte avaient ainsi voté contre la réautorisation du produit, tandis que sept autres pays – dont l'Allemagne et l'Italie – s'étaient abstenus. À l'été 2016, une réautorisation provisoire de 18 mois, jusqu'à fin 2017, avait été accordée au produit phare de Monsanto, le temps de trancher le débat scientifique.

Mais, depuis, ce débat a viré à la controverse, et la controverse à la polémique. Les expertises demeurent irréconciliables : selon l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), le glyphosate n'est pas cancérogène. Le CIRC, lui, maintient sa classification. Plusieurs scientifiques du monde académique lui ont apporté leur soutien, dénonçant la trop grande confiance des agences européennes dans les analyses de données fournies par la plate-forme des agrochimistes commercialisant des produits à base de glyphosate.

En mai, le toxicologue américain Chris Portier protestait dans une lettre à Jean-Claude Juncker, le président de l'exécutif européen : " Autant l'EFSA que l'ECHA ont échoué à identifier tous les cas statistiquement significatifs d'augmentation d'incidence de tumeurs, dans les études menées sur les rongeurs. " Deux mois plus tard, l'ONG Global 2000 rendait public un rapport du toxicologue allemand Peter Clausing, accusant les agences européennes d'avoir enfreint leurs propres règles de travail dans leurs expertises.

Depuis plus de deux ans, l'affaire mobilise une énorme attention médiatique. En février, des ONG ont lancé une " initiative citoyenne européenne " (ICE) contre le renouvellement du produit. Cette démarche, prévue par la réglementation européenne, doit réunir au moins un million de signatures – contrôlées par les instances de l'Union – pour être prise en compte par Bruxelles. En moins de six mois, les ONG coalisées en avaient collecté 1,3  million.

L'annonce du ministère de la transition écologique et solidaire a été saluée par les associations de défense de l'environnement. Mais elle est fustigée par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), qui estime dans un communiqué du 30  août que " l'utilisation raisonnable du glyphosate " est nécessaire au développement " des bonnes pratiques agricoles parmi lesquelles l'agroécologie, l'agroforesterie ou l'agriculture de conservation ". Selon la FNSEA, " tant que des solutions alternatives ne sont pas accessibles, la suppression du glyphosate balayerait d'un revers de main les efforts entrepris de longue date par les agriculteurs français, leurs outils de recherche et de développement, et toute une filière de progrès acteur-clé de la transition écologique que la société appelle de ses vœux ".

Pour l'industrie agrochimique, les enjeux industriels sont considérables. Une interdiction du glyphosate en Europe risquerait de faire boule de neige et remettrait en cause le modèle économique de Monsanto, notamment fondé sur la vente liée du glyphosate et des cultures transgéniques qui le tolèrent. Cette fragilisation de l'activité du géant américain des semences et des pesticides pourrait peser in fine sur Bayer, le géant allemand de la chimie et de la pharmacie, qui a mis près de 60  milliards d'euros sur la table pour acquérir la firme de Saint-Louis.

La Commission européenne a d'ailleurs dit, fin août, qu'elle lançait " une enquête approfondie " sur cette fusion, craignant une situation de monopole. Le feuilleton du glyphosate se poursuit et son scénario est voué à devenir toujours plus compliqué.

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1 septembre 2017 5 01 /09 /septembre /2017 10:28

Un Communiqué d’Europe Écologie les Verts, suivi d’un article de Sarah Belouezzane du 31 août 2017 pour Le Monde.

Ce jeudi 31 aout, le gouvernement a rendu public le contenu de ses ordonnances concernant la réforme du droit du travail.
​ ​
Cette réforme, purement idéologique,​ est imposée aux syndicats et aux parlementaires, niant de facto la valeur du dialogue social et politique pour réguler la société. Elle voudrait faire croire qu’en dérégulant le marché du travail, en offrant moins de protection aux salariés, on pourrait créer de l’emploi. Aucun élément, aucune étude, ni même aucun argument ne permet d’étayer cette affirmation. Il ne s’agit que de demandes d’une partie des employeurs, soucieux d’avoir plus de liberté​s​ pour licencier ou réduire les avantages sociaux.

Trois points​ particulièrement néfastes doivent être ​signalés

  • Le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif, limitée à 3 mois seulement en dessous de 2 ans d’ancienneté ;
  • La fusion des instances du personnel. Le CHSCT qui travaille sur les conditions de travail des salariés, leur sécurité, les maladies professionnelles, le stress au travail est une instance efficace, qui permet l’amélioration de la qualité de vie au travail et la préservation de la santé des salariés.
    ​C’est pourquoi la partie ​la plus rétrograde ​du patronat cherche depuis longtemps à en limiter les prérogatives. Emmanuel Macron leur aura donc donné raison. Ceci est d’autant plus dommageable que les ordonnances ne précisent pas les moyens alloués à la nouvelle instance fusionnée (appelée Comité social et économique).
  • La possibilité de contourner les syndicats pour signer des accords d’entreprise dans les entreprises de moins de 50 salariés.​C’est la négation du principe constitutionnel de dialogue social avec les syndicats, une volonté d’effacer les acquis du CNR et de mai 68. ​Alors même que les études du FMI confirment que les organisations syndicales contribuent à réduire les inégalités de salaires, la réforme cherche à les affaiblir en les excluant, de fait, du champ des entreprises de moins de 50 salariés.

Cette réforme ne présente par ailleurs aucune avancée significative concernant les droits des salariés, en dehors de l’augmentation – faible- de l’indemnité légale de licenciement de 1/5ème de mois à ¼ de mois par année d’ancienneté. On aurait pourtant pu attendre d’une réforme moderne et progressiste qu’elle soit équilibrée entre les avancées pour l’employeur et celles pour les salariés. On aurait ainsi pu espérer une régulation de l’économie collaborative, un encadrement de l’emploi des vrais-faux salariés « uberisés » payés à la tâche et précarisés. Hélas, les salariés précaires n’ont semble-t-il rien à attendre de ce gouvernement.

En outre, il y a également la question des primes, notamment les primes d’ancienneté, désormais négociées au niveau de l’entreprise et non de la branche. Une façon d’organiser une fois de plus la course au moins-disant social entre entreprises. Exercer une pression à la baisse sur les salaires apparait de plus en plus comme l’un des objectifs de ce gouvernement.

Facilitation des licenciements, affaiblissement des organisations syndicales, démantèlement des CHSCT, cette réforme suit une logique très claire d’affaiblissement des salariés dans leur rapport à l’employeur. Une réforme idéologique, cousue de préjugés, qui n’aura malheureusement aucun effet sur l’emploi mais qui, en renforçant le déséquilibre existant entre les employeurs et les salariés (​déjà ​subordonnés et sous pression d’un chômage de masse)​,​ aura des effets dévastateurs sur la collectivité en entreprise​, en fragilisant la cohésion sociale. ​

EELV appelle donc à la mobilisation sociale le 12 septembre, partout en France, contre la loi dite « travail ».

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Loi travail : les ordonnances enfin dévoilées

Ce texte, très attendu, fixe notamment un plafond de vingt mois de salaire pour les indemnités prud'homales.

Elles sont enfin là. Après trois mois de concertation et près d'une cinquantaine de réunions bilatérales entre le gouvernement et les partenaires sociaux, les ordonnances visant à réformer le droit du travail ont été dévoilées jeudi 31  mai par le premier ministre Édouard Philippe. Syndicats et patronat ont été invités dès 10  heures du matin, soit deux heures avant la publication du texte, à prendre connaissance de l'une des plus grandes réformes du droit du travail que le pays ait connu ces dernières années.

Un créneau serré pour consulter les 159 pages et 36 mesures visant à réécrire et amender un code qui en fait plus de 3 000. De leurs réactions à l'issue de la séance de présentation, dépendra le climat social d'un quinquennat placé sous le signe des réformes par Emmanuel Macron. Car comme annoncé lors de sa campagne présidentielle, après le droit du travail, le président s'attaquera à l'assurance chômage, la formation professionnelle ou encore les retraites. Une gageure.

La CGT n'a pas attendu de connaître le contenu précis des ordonnances pour appeler à manifester le 12  septembre. La France insoumise, elle, a donné rendez-vous dans la rue, le 23  septembre, pour lutter contre ce qu'elle appelle un " coup d'État social ". Un mécontentement fondé sur les principes directeurs déjà connus de la réforme. Mais si ces derniers ont été rendus publics au fur et à mesure des consultations, certains points précis, et non des moindres, demeuraient inconnus. Soigneusement gardés secrets jusqu'à la dernière minute par le gouvernement.

Divisées en quatre axes, les 36 mesures contenues par les ordonnances touchent à une grande partie de l'organisation au sein des entreprises. Et pourraient changer le quotidien des salariés sur nombre de sujets.

Indemnités prud'homales

C'est par exemple le cas du plafond et du plancher des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif. Un dispositif clef, réclamé à cor et à cri par le patronat depuis des années et porté par le président de la République depuis son passage à Bercy. Aujourd'hui ces indemnités sont à la discrétion du tribunal qui les attribue. Une fois les ordonnances approuvées, un salarié qui estime avoir été licencié sans cause réelle ni sérieuse obtiendra au maximum de vingt mois de salaire après trente ans d'ancienneté. Le plancher passe de six à trois mois de salaire au bout de deux ans de présence dans l'entreprise. En dessous de deux ans, c'est un mois de salaire.

Fini donc les quelques centaines de milliers d'euros (à moins que les émoluments de l'employé ne soient particulièrement élevés) que pouvaient espérer certaines personnes allant au contentieux. Comme prévu, ce plafond sera cependant caduc en cas de plainte pour discrimination ou encore d'atteinte aux droits fondamentaux du salarié. Le délai de recours aux prud'hommes passera de vingt-quatre mois aujourd'hui à douze mois. En compensation, les indemnités légales de licenciement seront augmentées de 25  %, comme annoncé par certains syndicats fin août. Une demande portée par la CFDT de Laurent Berger depuis le début des concertations.

Petites entreprises

Autre point très sensible aux yeux des syndicats, les modalités de négociations dans les plus petites entreprises. Aujourd'hui, la quasi-majorité des sociétés de moins de onze salariés ne dispose pas de délégué syndical. Ce qui les oblige, dans la plupart des cas, à se conformer aux dispositions des accords de branche. Seuls les accords portant sur les contreparties au travail du dimanche pouvaient être négociés et signés. Une situation incompatible avec la volonté d'Emmanuel Macron d'assurer une négociation au plus près du terrain. Désormais, il sera possible, pour le chef d'entreprise, de discuter de tout ce qui ne relève pas de la branche avec ses employés, et ce sans la participation d'un délégué syndical. Un vote à la majorité suffira pour parapher un accord. Le dispositif n'en a pas le nom, mais il ressemble fortement à un référendum d'entreprise lancé à l'initiative de l'employeur.

La disposition sera étendue aux entreprises de onze à vingt salariés. Lesquelles pourront, par ailleurs, toujours en cas d'absence de délégué syndical, discuter directement avec un élu du personnel sans avoir recours au mandatement. Derrière ce terme un peu abstrait se cache la possibilité pour un délégué de prendre les couleurs d'un syndicat qui l'aidera à négocier et aura, de fait, un droit de regard sur le texte final de l'accord. Très peu utilisée, cette possibilité était décriée par les chefs d'entreprise qui y voyaient une façon pour les centrales de mettre un pied chez eux. Les sociétés de 20 à 50 salariés pourront, quant à elles, négocier aussi avec le délégué du personnel non mandaté.

Cet ensemble de mesures destinées à montrer que le gouvernement se préoccupe des petites et moyennes entreprises, considérées par les observateurs comme le poumon économique du pays, devrait s'appliquer à plus de 6  millions de salariés en France. Si les petits patrons ont toutes les chances de se réjouir, les syndicats, eux, risquent de ne pas vraiment apprécier. Leur crainte ? Être sans cesse contournés. Une peur maintes fois exprimée par les centrales qui estiment qu'il faut de l'accompagnement et de la formation pour négocier des accords à valeur juridique.

Fusion des instances représentatives du personnel

Réclamée par le patronat, la fusion des instances représentatives du personnel (IRP) se fera bien par le biais d'un accord d'entreprise. De quatre, les IRP passeront donc à deux (d'un côté les délégués syndicaux, de l'autre les délégués du personnel, le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Cette nouvelle entité, appelée conseil d'entreprise, pourra négocier des accords en cas d'absence de délégués syndicaux et aura un droit de veto sur les sujets touchants à la formation professionnelle et à l'égalité hommes-femmes.

Mystère en revanche sur le nombre de personnes y siégeant et sur le nombre d'heures de travail qui y seront dévolues : ces précisions relèveront d'un décret. Les syndicats qui avaient très peur de la faiblesse des moyens alloués à une telle instance devront donc demeurer vigilants dans les semaines à venir sur les détails de la mesure.

Licenciement économique

Autre sujet brûlant : le périmètre du licenciement économique. Aujourd'hui, pour apprécier les difficultés financières d'une entreprise qui veut lancer un plan social, il faut prendre en compte sa situation dans tous les pays où elle opère si c'est une multinationale. Désormais seule sa santé dans l'Hexagone fera foi.

Craignant des faillites organisées ou des montages complexes pour noircir le tableau des comptes des filiales françaises, les syndicats avaient demandé à disposer des moyens nécessaires à l'examen des faits. Le gouvernement qui avait mis sur la table la possibilité de leur accorder un délai de quinze jours pour cette expertise est revenu sur sa proposition.

Refus de reconnaissance d'un  accord collectif

Dans un registre plus personnel pour l'employé, un licenciement lors d'un refus d'accord collectif par le salarié ne se fera plus sous un régime apparenté à celui du licenciement économique. L'employé n'aura donc pas droit au CSP, ce dispositif spécial réservé aux victimes de plans sociaux. Ce dernier leur assure un suivi plus poussé par Pôle Emploi et une indemnité chômage plus importante la première année. Des conditions bien plus intéressantes qu'un demandeur d'emploi lambda, en somme. Leur compte personnel de formation (qui centralise les droits d'un salarié pour tout ce qui touche à la formation continue), sera, en revanche, automatiquement crédité de cent heures supplémentaires.

Nouvelles garanties pour  les  syndicats

Soucieux de rallier les centrales à sa réforme, et désireux d'encourager un système de négociation au plus près de l'entreprise à l'allemande, le gouvernement a mis en place quelques mesures destinées à renforcer le syndicalisme. Parmi elles, la possibilité pour un salarié syndiqué ou qui souhaite l'être d'obtenir des formations renforcées sur le sujet. Ou encore la création, par le gouvernement, d'un observatoire de la négociation collective. L'idée : recenser les accords pour voir si les entreprises tricolores négocient plus ou pas.

Ordre public conventionnel

Sujet de dissension majeur lors de la loi travail portée par Myriam El Khomri en  2016, la hiérarchie des normes (sujets sur lesquels l'entreprise prime sur la branche et inversement) aura finalement été l'un des points les plus consensuels de la concertation. Bien qu'il ait donné plus de marges de manœuvres à l'entreprise, le gouvernement a conservé des sujets qui seront les prérogatives exclusives des branches, et d'autres dans lesquelles elles pourront verrouiller le sujet ou pas, comme annoncé dès le mois de juillet. Les branches récupèrent en revanche la possibilité de négocier certaines modalités des contrats courts (les motifs demeurant dans la loi) et celle d'étendre la possibilité de recours au contrat de chantier. Les changements dans ce domaine sont de toute façon connus des partenaires sociaux.

Sarah Belouezzane

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31 août 2017 4 31 /08 /août /2017 09:26

Selon l’association de consommateurs, 46  % du surcoût des produits issus de l’agriculture biologique est imputable aux marges des enseignes. Par Laurence Girard le 29 août 2017 pour Le Monde. Sur ce sujet, lire aussi L’irrésistible expansion de l’agriculture biologiqueLe marché bio s’envole, les paysans bio craignent de perdre leur âme, et aussi Pacte pour une agriculture et une alimentation d’intérêt général et Pascal Canfin : « Refonder un nouveau pacte agricole et alimentaire ».

En 2016, les Français ont dépensé 7 milliards d’euros pour s’offrir une alimentation bio. GILLES TARGAT / PHOTO 12

En 2016, les Français ont dépensé 7 milliards d’euros pour s’offrir une alimentation bio. GILLES TARGAT / PHOTO 12

Pour de nombreux consommateurs, l’achat de produits bio se fait lors de leurs emplettes en grande distribution. Pas sûr, toutefois, qu’ils y gagnent. Car, si les enseignes redoublent d’appétit pour ce marché en plein essor, elles y voient une manière d’ajouter du beurre à leurs épinards. L’UFC-Que choisir en fait la démonstration. Dans une étude, publiée mardi 29 août, l’association de consommateurs dénonce les « marges exorbitantes » de la grande distribution.

L’UFC s’est concentrée sur les fruits et légumes. Elle a sélectionné un panier de 24 produits représentatifs de la consommation des ménages français. Et s’est appuyée sur les données du Réseau des nouvelles des marchés (RNM), qui dépend de l’institut public FranceAgriMer.

Son verdict est sans appel. Selon ses calculs, les marges brutes de la grande distribution sont, en moyenne, deux fois plus élevées (+ 96 %) pour les produits bio que pour ceux issus de l’agriculture dite « conventionnelle ». L’écart de marge est particulièrement spectaculaire pour les deux produits frais les plus consommés dans ce rayon : + 145 % pour la tomate et + 163 % pour la pomme.

Offre de fruits et légumes frais « indigente »

L’UFC-Que choisir dénonce les « marges exorbitantes » de la grande distribution sur les fruits et légumes bio

L’association de consommateurs s’est interrogée sur les raisons de ce qu’elle qualifie de « surmarges ». Elle estime qu’un surcoût peut s’expliquer pour les fruits et légumes les plus périssables et sensibles aux manipulations, et pourrait justifier les marges brutes particulièrement élevées et supérieures de 171 % pour la pêche et de 161 % pour l’abricot par rapport au « conventionnel ».

Mais, quid du poireau, qui détient la palme, avec une surmarge de 191 %, ou de la pomme, connus pour leur résistance en rayon ? « En l’absence d’autres justifications et pour des produits dont les modalités de mise en rayon sont identiques, cette différence de tarification pourrait être due à une politique opportuniste sur un marché de niche », affirme l’UFC-Que choisir.

« La grande distribution fait tout pour s’afficher en défenseur du bio. La confiance qu’elle souhaite installer auprès des consommateurs, à grand renfort de campagnes de communication, est mal placée. Le consommateur doit réfléchir à deux fois et varier ses sources d’approvisionnement », estime Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir.

L’association met en exergue les publicités des enseignes, qui se targuent du prix, mais aussi de la disponibilité de leur offre de produits bio. Et bat en brèche cette image, après une visite de 1 541 magasins répartis sur le territoire. Elle juge l’offre de fruits et légumes frais « indigente ». Dans près d’un cas sur deux (43 %), elle a constaté qu’il était impossible de trouver en rayon à la fois des pommes et des tomates bio.

7 milliards d’euros dépensés dans l’alimentation bio

Cette étude apporte un éclairage sur un marché qui suscite de nombreuses convoitises. En 2016, les Français, soucieux de l’incidence du contenu de leur assiette sur leur santé, mais aussi sur l’environnement, ont dépensé 7 milliards d’euros pour s’offrir une alimentation bio. Un montant en croissance de 20 %. Les grandes enseignes, premier canal de distribution, en contrôlent 42 %.

Or, souvent, l’argument du prix est mis en avant comme un frein au développement de ce marché. Même si l’association Familles rurales a constaté, à la fin d’août, une quasi-stabilité du prix des fruits (+ 0,1 %) et des légumes (+ 3 %) bio pour la période estivale 2017. Il n’empêche, l’UFC-Que choisir estime que remplir son panier de fruits et de légumes bio coûte 79 % plus cher qu’avec leurs équivalents conventionnels.

Mais l’association montre que 46 % de ce surcoût est dû aux marges de la grande distribution. La moitié restante est liée à la spécificité de l’agriculture biologique, dont les rendements sont moindres et le besoin de main-d’œuvre plus important. Un surcoût justifié que les agriculteurs bio souhaitent défendre. Avec la crainte que la guerre des prix que se livrent les enseignes ne vienne bousculer le jeu.

Alors qu’ont commencé mardi 29 août les premiers ateliers des états généraux de l’alimentation voulus par le président de la République Emmanuel Macron, M. Bazot souhaite interpeller les acteurs : « Nous demandons à l’Observatoire de la formation des prix et des marges d’étudier la construction des prix des produits bio dans la grande distribution et de faire la transparence sur les marges nettes. Si les marges étaient normales, cela favoriserait la consommation du bio », déclare-t-il. Un Observatoire dirigé par Philippe Chalmin, dont le mandat de président vient d’être renouvelé par le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert.

L’UFC-Que choisir dénonce les « marges exorbitantes » de la grande distribution sur les fruits et légumes bio

Le gouvernement souhaite un fonds privé pour l’agriculture biologique

Le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, a déclaré mardi 29 août qu’il souhaitait la création d’un fonds privé d’aide à « des filières bio qui sont plus en difficulté ou ont besoin d’être accompagnées pour continuer à investir et occuper des places de marché. » « Ça peut être par exemple le fait qu’un industriel ou un distributeur puisse un temps donné rogner sur une partie de sa marge pour créer ce fonds spécifique qui serait ensuite redistribué par un acteur public », a-t-il ajouté sur la radio RTL.

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30 août 2017 3 30 /08 /août /2017 10:21

Une enquête publique critique l'urbanisation du triangle de Gonesse et le gigantesque projet commercial et de loisirs mené par Auchan. Par Rémi Barroux le 29 août 2017 pour Le Monde. Lire aussi Vertigineuse partie de Monopoly sur le triangle de Gonesse, Le Bêtisier d'Europacity, chapitre 1 : Images d'Épinal, Le Bêtisier d'Europacity, chapitre 2 : La prolifération d'emplois fantômes et Le bêtisier d'Europacity, 3. Des emplois inaccessibles à la population locale.

Vue d'artiste du projet Europacity, méga-complexe de loisirs et de commerce porté par le français Auchan et le chinois Wanda qui prévoit la construction d’une gigantesque surface commerciale, ainsi que des hôtels, des salles de spectacle, un parc aquatique au nord de Paris. EUROPACITY

Vue d'artiste du projet Europacity, méga-complexe de loisirs et de commerce porté par le français Auchan et le chinois Wanda qui prévoit la construction d’une gigantesque surface commerciale, ainsi que des hôtels, des salles de spectacle, un parc aquatique au nord de Paris. EUROPACITY

Il n'est pas certain que le projet d'EuropaCity, censé installer un immense complexe – méga-centre commercial, hôtelier et de loisirs… au nord de Paris, dans le triangle de Gonesse, à cheval sur le Val-d'Oise et la Seine-Saint-Denis –, sera prêt pour les Jeux olympiques de 2024, attendus à Paris. Dans les conclusions d'une enquête publique, qui s'est déroulée du 29  mai au 30  juin, le commissaire-enquêteur Ronan Hébert émet un avis défavorable sur " la révision générale du plan local d'urbanisme - PLU - de Gonesse ", commune de quelque 26 000 habitants du Val-d'Oise.

Cette révision du PLU avait pour principal objectif de permettre l'urbanisation du triangle de Gonesse, par la conversion de terres agricoles en zone d'activité. L'artificialisation devrait concerner 300  ha de terres agricoles environ sur moins de 700  ha que compte aujourd'hui cette zone, dont 80  ha pour le seul projet d'EuropaCity.

Pour Ronan Hébert, par ailleurs vice-président adjoint chargé des infrastructures et du développement durable de l'université de Cergy-Pontoise, derrière la remise en question de la révision du PLU de Gonesse se joue d'abord le bien-fondé du projet d'Immochan, filiale du groupe Auchan alliée au chinois Dalian Wanda, pour construire le complexe d'EuropaCity, d'un coût annoncé de 3,1  milliards d'euros. M.  Hébert souligne " des impacts environnementaux négatifs importants à très importants ", en particulier s'agissant de la consommation massive de " terres agricoles fertiles les plus proches de la capitale (…) favorables à l'autosuffisance alimentaire et -aux circuits courts ", l'imperméabilisation des sols, l'atteinte à la biodiversité, etc.

" Prise de distance "

Le commissaire indique aussi que ce projet alliant commerces et loisirs – sont annoncés notamment un parc aquatique et un " parc des neiges ", un parc de loisirs, une ferme et des zones de cueillette, des restaurants, des salles de spectacle, un " cirque contemporain "… – risque d'" impacter les équilibres économiques locaux et régionaux existants ". La région est en effet déjà largement dotée d'importants centres commerciaux et parcs de loisirs (Astérix, Disney…).

Cet avis défavorable, s'il n'est que consultatif, a été accueilli avec une " grande satisfaction " par les opposants au projet, regroupés au sein du Collectif pour le triangle de Gonesse. " Cela ne signifie pas la victoire, mais nous aurons plus de force pour les recours juridiques. Nous ferons tout pour refuser EuropaCity et tous les projets visant à détruire ces terres agricoles ", déclare Bernard Loup, son président.

Les opposants espèrent aussi beaucoup du ministre de la transition écologique et solidaire. " Il faut que nous entrions en phase de dégrisement sur la consommation abusive des sols et notamment des terres agricoles, et que nous cessions d'avoir la folie des grandeurs sur un certain nombre de projets commerciaux, a expliqué au Monde, lundi 28  août, Nicolas Hulot. Nous ne gagnerons pas la bataille climatique si nous ne cessons pas d'artificialiser les sols. " Le ministre avait déjà tenu des propos similaires le 6  juillet, lors de la présentation de son plan climat, aussitôt salués par les opposants, qui y ont vu une " prise de distance ", remettant en cause le soutien gouvernemental et régional à ce projet de développement économique, qui devrait, selon ses promoteurs, se traduire par la création de plus de 10 000 emplois.

Pour autant, les déclarations de M. Hulot ou les conclusions du commissaire-enquêteur ne signifient pas l'arrêt du projet. Le maire (PS) de Gonesse, Jean-Pierre Blazy, ardent défenseur du projet, a annoncé qu'il ferait connaître sa position sur la révision du PLU au cours de la première quinzaine de septembre – il peut le maintenir en l'état ou en élaborer un nouveau. La mairie a néanmoins expliqué sur son site que " les -conclusions du rapport ne sont pas de nature à remettre en cause le principe de l'aménagement du triangle de Gonesse ".

Quant aux porteurs du projet, ils estiment que l'avis concerne l'ensemble de l'urbanisation de la zone et pas seulement le triangle et EuropaCity. " Je m'étonne que les opposants se focalisent sur ce projet alors que l'urbanisation se fera avec ou sans, que le PLU correspond aux attendus du schéma directeur régional d'Ile-de-France, qui a reconfirmé l'objectif de l'urbanisation du triangle de Gonesse ", a déclaré au Monde David Lebon, directeur du développement d'EuropaCity. Pour ce dernier, c'est désormais aux élus de la ville de trancher.

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27 août 2017 7 27 /08 /août /2017 14:43

De la condition animale, la philosophe Florence Burgat a fait à la fois un objet d'étude et une cause. Auteure notamment d'Une autre existence. La condition animale (Albin Michel, 2012), elle défend la thèse d'une continuité entre l'homme et les animaux – sans nier les caractères propres à chaque espèce. Dans son nouvel ouvrage, L'Humanité carnivore (Seuil, 472 p., 26  euros), elle interroge les soubassements anthropologiques de la consommation de viande. A ses yeux, le " meurtre alimentaire " que nous pratiquons est un choix, dont la principale raison est l'affirmation d'une séparation totale entre l'homme et l'animal. Propos recueillis par Catherine Vincent pour Le Monde du 26 août 2017. Lire aussi  Florence Burgat : « L’institution de l’alimentation carnée reflète un désir très profond de l’humanité » et Le véganisme est-il un humanisme ?.

Sarah Bouillaud/Hans Lucas pour « Le Monde »

Sarah Bouillaud/Hans Lucas pour « Le Monde »

Le fait que l'homme soit carnivore -semble universel. Durant la préhistoire, dites-vous, nos ancêtres n'étaient -pourtant pas les grands chasseurs que l'on se plaît à décrire…

Les recherches récentes en paléoanthropologie ont en tout cas mis en évidence que les premiers hommes, et avant eux les autres -hominidés, avaient des pratiques alimentaires très diverses. La part végétale de leur alimentation a longtemps été ignorée, pour une raison simple : ces aliments laissent peu de vestiges, contrairement aux ossements animaux. On pense aujourd'hui que les hommes préhistoriques ont été bien plus charognards que chasseurs. Ils étaient surtout opportunistes : ils mangeaient ce qu'ils trouvaient.

Il en va de même au cours de l'histoire. A l'exception de régions impropres à la vie végétale, comme le Grand Nord, où la viande est l'alimentation de base, l'établissement de l'agriculture a fourni très tôt la base d'un régime -culinaire végétarien, centré sur les légumes ou les céréales. En Grèce antique, par exemple. Il est beaucoup question de sacrifices animaux dans les textes d'Homère, mais on sait désormais que 80  % de l'apport calorique total des Grecs anciens était fourni par les céréales. Par la suite, le régime carné s'accroît dans toute l'Europe, jusqu'à la période que Fernand Braudel appelle l'" Europe carnivore " (autour du XVe  siècle). Mais à toutes les époques, dans -diverses parties du monde, il y eut aussi des tentatives pour instituer le végétarisme – notamment en Inde, au Japon, en Corée et en Chine. Non pour des raisons de tabous alimentaires religieux, mais au nom de principes éthiques fondés sur le respect des vies animales.

On peut évoquer la nécessité alimentaire, les habitudes culturelles, le plaisir -gustatif. Mais ce qui justifie surtout notre -consommation de viande, selon vous, c'est un rapport fondamentalement meurtrier aux animaux. Pourquoi ce choix ?

Parce qu'il sépare l'humanité du règne animal. Ce que j'appelle " humanité ", c'est le -moment où les êtres humains prennent conscience d'eux-mêmes comme d'une totalité. Dès lors, ils ont à cœur de se distinguer du reste des vivants par la violence, notamment envers les animaux. Le fait qu'un grand nombre de législations aient désormais rendu -licite leur mise à mort industrielle pour organiser une exploitation de cette ressource à grande échelle s'explique évidemment par des raisons économiques. Mais on n'a pas épuisé la question de ce traitement meurtrier en s'en tenant simplement aux bénéfices -matériels que l'on en tire : il y a aussi un enjeu métaphysique. En dehors des situations de survie, le fait de tuer en masse des individus pour les manger constitue un acte d'anéantissement très particulier.

Pour penser cet acte en profondeur, il faut aller de la viande aux animaux dont elle provient, et intégrer cette dimension – l'individu mis à mort pour que je le mange – au cœur de ce plaisir. Cette approche était déjà celle des philosophes allemands Max Horkheimer et Theodor Adorno, qui se sont intéressés au milieu du XXe  siècle à la question de l'abattoir, cette figure de l'exploitation contemporaine de l'animal. Ils y voyaient l'aggravation d'un processus très ancien, qui a participé très tôt à la manière dont l'humain se constitue comme sujet.

Que dit cette violence intrinsèque -sur notre rapport à l'animalité ?

Je pense que si nous maltraitons les animaux, c'est précisément parce que nous savons que ce ne sont pas des êtres insensibles : personne ne peut croire cela, même en construisant des artifices théoriques de dénégation. C'est en raison de notre proximité avec eux que nous mettons en œuvre ce qu'Adorno et Horkheimer appellent une " dimension haineuse ". Cette dimension qui nous autorise à reproduire indéfiniment des animaux dans le seul but de les tuer, cette mise à mort perpétuelle désormais élevée à l'échelle industrielle.

Continuer de les manger tout en sachant qu'une alimentation peut être équilibrée sans produits carnés, est-ce une manière de les maintenir à distance ? De ne pas leur accorder les droits que certains -demandent pour eux ?

Exactement. Beaucoup de gens seraient prêts à accorder de meilleures conditions de vie aux animaux. Mais ces derniers, en effet, changeraient radicalement de statut si des sociétés -décidaient d'arrêter de les manger. On peut s'étonner de la résistance de la plupart de nos concitoyens à cette idée. On peut se demander : pourquoi tant de haine ? Pourquoi préfère-t-on les animaux morts plutôt que vivants ? Le spécialiste du droit animalier Jean-Pierre Marguénaud dit que le législateur se pose trois questions quand il écrit des textes dans ce domaine : quand, comment et quels animaux tuer ? Les lois qui les protègent sont pour l'essentiel des réglementations sur la manière de les mettre à mort. C'est une réalité très troublante, mais on n'arrive pas à la penser car on y est immergé.

Dans " L'Humanité carnivore ", vous -explorez le rôle de la chasse dans -le processus d'hominisation. Quels sont les éléments du débat ?

Au début du XXe  siècle, les préhistoriens donnaient à la chasse une importance aujourd'hui jugée disproportionnée par tous les spécialistes. Il y avait cette idée que ce qui fait l'homme, c'est le moment où il commence à tuer les animaux. Depuis, sous l'impulsion de techniques de datation plus pointues et de nouvelles disciplines (telle la paléobotanique, qui a permis de reconstituer la flore de certaines époques), on s'est rendu compte qu'il fallait réviser cette idéologie. Rien ne prouve que la chasse ait été l'unique activité à l'origine de l'organisation -sociale. C'est ce qu'ont notamment révélé les études féministes, qui ont montré l'importance de la cueillette – dont on ne sait pas si elle était réservée aux femmes – et de ce qui a pu être fabriqué à partir des végétaux.

Autre piste de recherche passionnante : le moment où la chasse, sans doute dans un premier temps motivée par des raisons vitales, devient une activité de loisir. Ce moment -diffère selon les sociétés, mais il change radicalement le sens de cette fonction. Qu'est-ce qui se passe dans la psyché humaine pour que cet acte meurtrier devienne un loisir ? Aujourd'hui, les chasseurs ont à cœur de dire qu'ils sont des amis de la nature, qu'ils participent à la régulation des populations. Mais il y a quelque chose d'étrange à imaginer que la vue d'un animal sauvage – une perdrix qui s'envole, un lièvre qui détale, une biche, un chevreuil – suscite chez le chasseur le désir de l'abattre. Qu'il tombe raide, qu'il ne se relève pas, et qu'éventuellement on le mange. C'est quelque chose sur quoi notre esprit bute.

Cette attitude bien établie vis-à-vis des animaux peut-elle être remise en cause par la tendance actuelle du véganisme ?

Il se passe en tout cas quelque chose, vis-à-vis de quoi on ne reviendra pas en arrière. En France, tout le monde connaît désormais le mot " végan ", alors qu'on l'employait à peine il y a deux ans. Les images insoutenables prises en caméra cachée dans des abattoirs par l'association L214 y sont pour beaucoup, mais elles sont arrivées au bon moment : un -moment où nous, chercheurs, avions construit au fil des ans une légitimité de cette question – en lui donnant un arrière-plan historique, philosophique, juridique. Cette mise en perspective de la recherche, associée à la force de diffusion d'Internet, a permis aux médias de recevoir ces images autrement que par le passé. Car ce n'est pas la première fois que le scandale des abattoirs est dénoncé. Mais jusqu'alors, cela n'avait pas pris.

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23 août 2017 3 23 /08 /août /2017 09:23

Qui n’a jamais rêvé, quand la chaleur devient étouffante, de brancher le climatiseur pour profiter d’une brise de fraîcheur ? Alimentée par les canicules à répétition, cette tentation n’a rien d’anodin : l’air conditionné change les modes de vie des pays où il s’implante. Par Benoît Bréville pour Le Monde Diplomatique d’août 2017

Photogramme de « La Cité sans voiles » (« The Naked City »), de Jules Dassin, 1948. © DILTZ - Bridgeman Images

Photogramme de « La Cité sans voiles » (« The Naked City »), de Jules Dassin, 1948. © DILTZ - Bridgeman Images

La ville de Hamilton, au Canada, n’est guère connue pour la douceur de son climat : chaque année, les températures y sont négatives pendant cent vingt-neuf jours, et elles ne dépassent 30 °C que pendant dix-huit jours. Dans cette localité de 500 000 âmes, 82 % des foyers disposent pourtant de la climatisation, une technologie que le conseil municipal envisage de fournir gratuitement aux résidents pauvres souffrant de problèmes de santé. Hamilton inaugurerait ainsi un dispositif inventé aux États-Unis, où des aides publiques existent déjà pour les ménages peinant à s’équiper (1).

Subventionner l’air conditionné ? La mesure est moins absurde qu’il n’y paraît. Chaque été, du Nevada à la Floride, nombre d’États connaissent une atmosphère irrespirable, avec des températures qui excèdent les 40 °C en journée et redescendent à peine la nuit. Y vivre sans climatiseur, c’est suffoquer en permanence et s’exposer à divers maux : hypertension, insuffisance pulmonaire, troubles du sommeil, maux de tête… Dans le sud du pays, 97 % des foyers sont donc climatisés. Certains États, comme l’Arizona, obligent même les propriétaires à fournir à leurs locataires un système de climatisation en état de marche, au même titre que l’électricité ou l’eau courante.

Mais le goût américain pour la fraîcheur artificielle ne se limite pas à ces zones arides ou subtropicales. Il touche l’ensemble du pays, y compris le Vermont et le Montana, où les chutes de neige sont plus fréquentes que les canicules. L’air conditionné est présent partout, dans les maisons, les voitures, les restaurants, les magasins, les administrations, les transports, les stades, les ascenseurs, les écoles, les salles de sport, les églises, assurant une température constante, quels que soient la saison ou le coin du pays, à un peu plus de 20 °C.

Même les militaires qui partent combattre en Afghanistan installent l’air conditionné sous leurs tentes. « La personne qui travaille dans un bureau climatisé aura vite tendance à considérer comme insupportable une maison qui en est dépourvue », observe le journaliste David Owen (2).

Or cette dépendance a un coût écologique considérable, à la fois en termes d’émissions de gaz à effet de serre, du fait des fluides réfrigérants utilisés par les climatiseurs, et en termes de consommation énergétique. L’air conditionné représente chaque année 6 % de l’électricité produite aux États-Unis, bien souvent grâce au charbon, et 20 % de la facture résidentielle. Il y a encore deux ans, le pays consommait autant d’électricité pour refroidir ses bâtiments que l’Afrique pour l’ensemble de ses usages. À cela il faut ajouter l’énergie nécessaire pour faire fonctionner les climatiseurs des voitures, soit 26 à 38 milliards de litres de pétrole par an (3).

En juillet 1960, tandis que cette technologie s’installait à peine dans les foyers américains, un journaliste du Saturday Evening Post s’émerveillait devant la « révolution de la climatisation ». Or, plutôt que d’une révolution, il s’agissait d’une conquête lente, progressive, méthodique. Une conquête qui, entamée au début du XXe siècle, gagne aujourd’hui le monde (lire « Du ski par 40 °C »), et qui a remodelé le pays, sa géographie, son urbanisme, ses loisirs, ses modes de consommation, de sociabilité, et même ses pratiques sexuelles : avant la climatisation, la chaleur de l’été était souvent jugée trop intense pour s’adonner au sport en chambre ; on constatait une forte baisse du nombre de naissances neuf mois plus tard, en avril et en mai. Avec la température intérieure contrôlée, les variations saisonnières de la natalité ont disparu (4).

Quand il fit son apparition, au début du XXe siècle, l’air conditionné ne visait pas le confort des humains, mais la préservation des marchandises. Contrariée de ne pas pouvoir imprimer et stocker son papier en raison des fortes chaleurs, une imprimerie new-yorkaise commande à l’ingénieur Willis Carrier un appareil capable de contrôler l’humidité et la température ambiantes. La machine, qui fait passer de l’air par des tubes contenant un frigorigène, est prête en 1902. Elle rencontre un succès immédiat. Textile, tabac, pâtes alimentaires, chewing-gums, farine, chocolat : en moins de dix ans, toutes les industries dont la production souffre des fluctuations thermiques se convertissent à la climatisation.

Des ours polaires devant les cinémas

Conséquence heureuse, les ouvriers apprécient cet air frais. « La production est maintenue à son maximum et les travailleurs, au lieu d’être difficiles à trouver, cherchent à être embauchés dans une usine équipée par la société Carrier », vante, en 1921, une publicité de l’entreprise, qui vient de délocaliser une partie de ses activités au Mexique. Huit ans plus tard, une autre réclame précise : dans les usines climatisées, « l’air plus sain et agréable a attiré les travailleurs les plus désirables et quasi éliminé les conflits sociaux » (5). Mais le confort des salariés intéresse moins que leur rendement. En période de canicule, constatent les contremaîtres, les ouvriers perdent en productivité, les cadences ralentissent, l’absentéisme augmente ; il faut parfois octroyer des pauses supplémentaires, commencer l’activité plus tôt ou même interrompre la production.

Or l’heure est au taylorisme et à la rationalisation. Les employeurs se mettent à mesurer la température susceptible d’assurer la meilleure efficacité. Le gouvernement fédéral effectue lui aussi des tests et établit que ses dactylographes perdent 24 % de productivité quand on les prive de climatisation en été (6). « Pourquoi les meilleures inventions et les progrès scientifiques et industriels viennent-ils des zones tempérées ? », interroge une publicité de Carrier montrant un personnage à la peau tannée, affalé sur le sol, le visage couvert d’un sombrero. « Parce que, pendant des siècles, la chaleur tropicale a dépouillé les hommes de leur énergie et de leurs ambitions. Il n’y avait pas d’air conditionné. Donc ils faisaient des siestes. » Le titre précise : « Température 102 °F [39 °C], production 0 » (7). Ainsi la climatisation séduit-elle un nombre toujours croissant de bureaux, d’usines, d’administrations.

Portrait d’homme en nage - Bridgeman Images

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Mais, si l’air conditionné a d’abord été associé au travail, il évoque également le loisir, le plaisir, le divertissement, à travers les cinémas. À la fin du XIXe siècle, ceux-ci attiraient le public surtout en hiver : personne ne voulant s’entasser dans un lieu clos par un soleil de plomb, les salles étaient désertées, sinon fermées, aux beaux jours. Pour y remédier, la chaîne Balaban & Katz décide, à partir de 1917, de refroidir ses établissements de Chicago. Devant le succès de l’opération — le coût de l’installation peut être rentabilisé en un été —, la concurrence lui emboîte le pas, et, dès 1936, les trois quarts des 256 cinémas de la ville sont climatisés. Le mouvement gagne les autres métropoles américaines. « Il fait froid à l’intérieur », « Toujours à 20 °C » : à New York, Houston ou Los Angeles, des panneaux représentant des ours polaires, des cubes de glace ou des flocons de neige ornent désormais les entrées des cinémas. L’été n’est plus une saison morte, ce qui rend possible la stratégie de la « superproduction estivale ».

Après les cinémas, la climatisation conquiert les trains, les restaurants, les magasins ou encore les hôtels, selon un schéma à peu près identique. « Elle s’installe d’abord dans les établissements des grandes chaînes, puis s’étend aux établissements des chaînes locales, avant de toucher les magasins indépendants et enfin d’atteindre les petits commerces de quartier », relate un professionnel du secteur en 1937 (8). Il est très difficile de résister à un concurrent climatisé. Friands de modernité et ravis d’échapper momentanément à l’été, les clients délaissent les magasins surchauffés. De plus, on prête à la climatisation des vertus sanitaires. L’air conditionné serait pur et sain, comme le répètent les publicités et les pouvoirs publics. Dans les trains, il ferait disparaître la fumée des cigarettes « comme par magie ». Il serait également bénéfique aux femmes enceintes ; c’est en tout cas ce qu’assure le commissaire à la santé de Chicago, qui conseille aux futures mères de se rendre dans les cinémas Balaban & Katz durant l’été 1921. Elles y trouveront, affirme-t-il, un air « plus pur qu’à Pike Peak », dans les montagnes du Colorado.

Forte de cette réputation, la climatisation pénètre dans les foyers américains après la seconde guerre mondiale. Durant l’entre-deux-guerres, plusieurs entreprises s’étaient lancées sur le marché du climatiseur individuel, mais leurs tentatives s’étaient soldées par des échecs. Trop bruyants, trop volumineux et surtout trop chers, leurs appareils n’avaient pu séduire qu’une poignée de nantis. Puis, en 1951, Carrier commercialise le climatiseur de fenêtre, facile à installer, pour un coût modique. La ruée commence : dès 1960, 12 % des foyers sont climatisés ; vingt ans plus tard, ils sont 55 % ; puis 82 % en 2005 et presque 90 % aujourd’hui. D’abord apanage de la bourgeoisie, puis étendard des classes moyennes, la climatisation est présente aujourd’hui chez presque tout le monde.

Qui irait cuire à Las Vegas ?

En se diffusant dans l’ensemble des régions et des classes sociales, l’air conditionné a créé sa propre nécessité. Le sud des États-Unis a longtemps été moins urbanisé que le Nord. Au début du XXe siècle, sa population se met à diminuer : il perd dix millions d’habitants entre 1910 et 1950, essentiellement des Noirs qui fuient les lois raciales et la pénurie d’emplois créée par la mécanisation de l’agriculture, et qui cherchent du travail dans le Midwest. À partir des années 1960, tandis que la ségrégation est officiellement abolie, la situation s’inverse. Autrefois irrespirable, le Sud jouit d’une attractivité nouvelle auprès des habitants et des entreprises : on peut y profiter du soleil sans pâtir de ses inconvénients, mais aussi d’un environnement débarrassé des syndicats. Entre 1950 et 2000, la part des États de la Sun Belt dans la population américaine passe de 28 % à 40 %. « Sans la climatisation, il serait inconcevable que la Floride compte aujourd’hui 18,5 millions d’habitants (9)  », observe l’historien Gary Mormino. Le parc d’attractions Walt Disney à Orlando ressemblerait à un four, et aucun joueur n’irait cuire dans les casinos de Las Vegas, au milieu des étendues désertiques du Nevada.

Perdu dans les broussailles de l’Arizona, Phoenix abritait 50 000 habitants en 1930. Il en rassemble aujourd’hui 1,5 million, et ses banlieues gagnent chaque jour du terrain. Le béton et l’asphalte qui tapissent la ville absorbent la chaleur en journée puis la relâchent au coucher du soleil, empêchant la chute nocturne des températures. Le thermomètre y dépasse les 43 °C environ trente jours par an (contre sept dans les années 1950) ; au mois de juin 2017, il a flirté avec les 50 °C pendant trois jours consécutifs. Du matin au soir, des centaines de milliers de climatiseurs vrombissent et rejettent de la chaleur dans l’atmosphère, ce qui fait grimper la température d’environ 2 °C et justifie de monter encore le niveau de la climatisation (10).

Il n’est évidemment pas inimaginable d’habiter dans le sud des États-Unis sans air conditionné. Il y a encore un siècle, personne ne se posait la question. Mais la vie était alors organisée selon le climat. Les magasins fermaient aux heures les plus chaudes, les enfants étaient dispensés d’école quand l’air devenait irrespirable, et l’on faisait volontiers la sieste après le déjeuner. L’architecture et l’orientation des maisons étaient elles aussi adaptées à la chaleur : portes et fenêtres vastes pour faire circuler l’air, plafonds hauts, murs fins entre les pièces, corniches larges pour protéger des rayons du soleil, planchers surélevés par rapport au sol, porches ombragés. Et, si cela ne suffisait pas, on branchait son ventilateur de plafond, une invention dix à vingt fois moins énergivore qu’un climatiseur de chambre ; on mettait ses pieds dans une bassine d’eau froide ou un linge mouillé autour de son cou.

Indispensable au fonctionnement d’Internet

Les habitations apparues dans la Sun Belt à partir des années 1960 ressemblent à celles de la Pennsylvanie ou de l’Indiana : des pavillons préfabriqués aux fenêtres étroites, posés sur le sol ; des immeubles modernes conçus avec un système de climatisation central ; des gratte-ciel dont les fenêtres ne peuvent même pas s’ouvrir. Comme les terrains étaient peu chers, les villes se sont étalées à perte de vue, rendant la voiture encore plus indispensable que dans le Nord. Selon l’historien Raymond Arseneault, la climatisation a ainsi accéléré « l’américanisation du Sud », l’effacement des différences régionales, l’homogénéisation des États-Unis (11). En Louisiane ou en Alabama, les écoles, les magasins et les bureaux ouvrent désormais sans discontinuer ; les porches où l’on profitait de l’ombre en discutant avec ses voisins n’existent plus. À New York, en été, personne n’achète plus de glaçons à des marchands de rue ni n’installe son matelas sur le balcon ou le palier de l’escalier extérieur. Désormais, du nord au sud, tout le monde profite de son environnement climatisé.

Les Américains s’attendent à trouver la climatisation partout et en tout temps. Une nuit où la température n’excède pas 8 °C, un habitant de Seattle n’hésitera pas à vous expliquer comment brancher l’air conditionné, tandis qu’en Alaska près du quart des hôtels proposent ce confort. La tolérance du pays à la chaleur a fini par s’éroder au point que les Américains affectionnent désormais des températures intérieures jugées trop froides par la plupart des touristes étrangers. Comme du temps où la climatisation ne se trouvait que dans les hôtels de luxe ou les voitures de première classe dans les trains, le froid reste en outre associé à une forme de raffinement, de distinction. En 2005, d’après le supplément « Mode et style » du New York Times (26 juin 2005), les magasins d’habillement new-yorkais affichaient une température d’autant plus basse qu’ils montaient en gamme : l’enseigne à bas prix Old Navy proposait un environnement à 26,8 °C, soit 4 °C de plus que le cossu Macy’s, et presque 7 °C de plus que la boutique de luxe Bergdorf Goodman.

Portrait d’homme en nage - Bridgeman Images

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L’avancée de la climatisation a pourtant été semée d’embûches. Dès l’origine, des clients ont envoyé des lettres courroucées pour se plaindre du froid excessif dans les magasins et les cinémas. Dans le sud du pays, des habitants ont boudé cette technologie qu’ils considéraient comme une importation venue du Nord, où les gens n’étaient pas assez résistants pour supporter la chaleur. Le président Franklin D. Roosevelt lui-même détestait cette machine installée par son prédécesseur : « Il a une forte aversion pour l’air conditionné et n’hésite jamais à le refuser. Les critiques véhémentes qu’il formule régulièrement à la presse font à l’installation une très mauvaise publicité », constatait l’état-major de Carrier en 1931 (12). De nombreux intellectuels se sont joints aux réfractaires, depuis l’écrivain Henry Miller, qui y voyait un symbole du divorce entre l’Américain et la nature (Le Cauchemar climatisé, 1945), jusqu’à l’historien Lewis Mumford, qui critiquait la volonté de l’humanité d’exercer un contrôle absolu sur son environnement (The Pentagon of Power, 1970).

Aujourd’hui encore, des militants écologistes dénoncent les dégâts environnementaux de la climatisation. Des scientifiques la montrent du doigt pour expliquer l’augmentation de l’obésité. Ils arguent que l’on a tendance à manger plus quand il fait frais, que l’on reste davantage enfermé à mener des activités sédentaires, et que le corps n’a plus besoin de dépenser des calories pour se réchauffer ou se refroidir. Des féministes blâment un usage sexiste des climatiseurs, systématiquement réglés dans les bureaux sur une température qui convient aux hommes en pantalon, cravate et chemise mais qui frigorifie les femmes en robe et sandales (13). Chaque été, les réseaux sociaux débordent ainsi de messages de femmes — et parfois d’hommes — qui se plaignent de devoir emporter un pull, une couverture ou un manteau pour affronter le froid.

Ces résistances n’ont cependant jamais entamé la progression d’une technologie promue par les pouvoirs publics — lesquels octroient à partir des années 1960 des prêts avantageux aux ménages qui s’en équipent —, par les sociétés de crédit — qui proposent des taux plus élevés pour les achats de biens dépourvus d’air conditionné —, par les promoteurs immobiliers — dont les plans de logements l’intègrent automatiquement — ou encore par les géants de l’énergie, comme General Electric, ravis de cette nouvelle demande.

La climatisation n’a d’ailleurs pas causé que des désagréments. Outre le confort qu’elle procure, elle a contribué à assainir le sud des États-Unis, jadis terre de prolifération pour des maladies tropicales comme le paludisme (en faisant reculer l’exposition humaine aux moustiques) ou la fièvre jaune, et à faire diminuer la mortalité estivale. Entre 1979 et 1992, à une époque où les pauvres n’en bénéficiaient pas encore, les canicules ont fait plus de cinq mille morts, auxquels il faut ajouter les victimes de la vague de chaleur de 1995, qui tua plus de cinq cents personnes rien qu’à Chicago (14). Désormais, les canicules ne sont plus forcément synonymes d’hécatombes. Indispensable dans les hôpitaux et les blocs opératoires, l’air conditionné est en outre nécessaire à la fabrication des médicaments, qui exige une température contrôlée. Il refroidit enfin les centres de données nécessaires au fonctionnement d’Internet.

Personne n’envisage donc de restreindre l’usage de la climatisation aux États-Unis. En 2008, l’Organisation des Nations unies a tenté de montrer l’exemple en augmentant la température de son siège new-yorkais de 3 °C. Mais cette initiative n’a guère essaimé. Tout juste quelques villes ont-elles adopté de timides mesures pour endiguer certains excès. En 2015, New York a ainsi interdit aux magasins de laisser leurs portes ouvertes tout en faisant tourner leur climatiseur — une vieille technique visant à attirer les passants par une brise de fraîcheur.

En 2011, un pays s’était retrouvé à la diète forcée : après l’accident de Fukushima, les Japonais avaient dû réduire de façon drastique leur consommation d’électricité, et donc de climatisation. Un professeur de l’université Waseda, à Tokyo, avait alors mesuré une diminution de la productivité des employés de bureau — une perte équivalant à trente minutes de travail par jour (15). Voilà qui n’incitera sans doute pas les employeurs américains à suivre l’exemple des Nations unies.

(1) En 2011, le montant global de l’aide à la climatisation aux États-Unis s’élevait à 269 millions de dollars, soit le quart des aides versées pour le chauffage. Cf. « Low income home energy assistance program », US Department of Health and Human Services, Washington, DC, 2015.

(2) David Owen, « The efficiency dilemma », The New Yorker, 20 décembre 2010.

(3) Stan Cox, « Cooling a warming planet : A global air conditioning surge », Yale Environment 360, 10 juillet 2012, www.e360.yale.edu

(4) Alan Barreca, Olivier Deschenes et Melanie Guldi, « Maybe next month ? Temperature shocks, climate change, and dynamic adjustments in birth rates », Institute for the Study of Labor (IZA), Bonn, novembre 2015.

(5) Gail Cooper, Air-Conditioning America. Engineers and the Controlled Environment, 1900-1960, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1998.

(6) Gail Cooper, Air-Conditioning America, op. cit.

(7) Marsha E. Ackermann, Cool Comfort. America’s Romance with Air-Conditioning, Smithsonian Institution Press, Washington, DC, 2002.

(8) Jeff E. Biddle, « Making consumers comfortable : The early decades of air-conditioning in the United States », The Journal of Economic History, vol. 71, no 4, Cambridge, décembre 2011.

(9) Cité dans Stan Cox, Losing Our Cool : Uncomfortable Truths About Our Air-Conditioned World (and Finding New Ways to Get Through the Summer), The New Press, New York, 2010.

(10) Stan Cox, « Cooling a warming planet », op. cit.

(11) Raymond Arsenault, « The end of the long hot summer : The air conditioner and Southern culture », The Journal of Southern History, Houston (Texas), vol. 50, no 4, novembre 1984.

(12) Marsha E. Ackermann, Cool Comfort, op. cit.

(13) Petula Dvorak, « Frigid offices, freezing women, oblivious men : An air-conditioning investigation », The Washington Post, 23 juillet 2015.

(14) Lire Eric Klinenberg, « Autopsie d’un été meurtrier à Chicago », Le Monde diplomatique, août 1997.

(15) Elisabeth Rosenthal, « The cost of cool », The New York Times, 18 août 2012.

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22 août 2017 2 22 /08 /août /2017 09:21

Des chercheurs ont travaillé sur le scénario d'un réchauffement planétaire de 3,7 °C. Par  Pierre Le Hir le 26 juillet 2017 pour Le Monde.

C'est une fournaise que nous annonce, à l'horizon de la fin du siècle, une étude publiée mi-juillet dans la revue Environmental Research Letters. Les températures estivales maximales pourraient alors dépasser en France, par endroits, les 50  0C. Selon les régions, elles surpasseraient de 6 à près de 13  degrés les records historiques.

Les sept auteurs, tous Français, relèvent de plusieurs organismes scientifiques, dont l'unité Climat, environnement, couplages et incertitudes (CECI, Cerfacs-CNRS), le Centre national de recherches météorologiques (CNRM, Météo France-CNRS) et la direction de la climatologie et des services climatiques de Météo France.

Les chercheurs ont d'abord recensé les records de température observés dans l'Hexagone entre 1950 et 2005. Ils se sont ensuite placés dans l'une des hypothèses – la plus pessimiste – retenues par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) : celle dans laquelle les émissions humaines de gaz à effet de serre continuent de progresser au rythme actuel, entraînant un réchauffement planétaire moyen de 3,7 0C à la fin du siècle. Ils ont alors fait tourner un modèle de climat régional développé par Météo France. Celui-ci, baptisé " Aladin ", produit des simulations de l'évolution du climat avec une très haute résolution spatiale.

Vagues de chaleur

Les conclusions sont proprement torrides. À la fin du siècle, les maximums de températures attendus, en été et en journée, pulvérisent tous les records établis depuis le milieu du XXe  siècle. Ils sont supérieurs de 6,6  0C en Bretagne, 7,7  0C près de la côte méditerranéenne, 9,6  0C dans le sud-ouest de la France, 12,2  0C dans le nord du pays et 12,9  0C dans l'est. Une distribution géographique contre-intuitive, le pourtour méditerranéen n'étant pas le plus dans le rouge, ce qui peut s'expliquer par l'effet modérateur de la mer et, pour la Bretagne, de l'océan.

" Ces résultats indiquent que les valeurs maximales en France pourraient facilement dépasser 50  0C à la fin du XXIe  siècle ", écrivent les chercheurs. Les records historiques de températures étant de 42  0C, la colonne de mercure pourrait même grimper, dans certaines régions, jusqu'à 55  0C. Un enfer que ne connaissent aujourd'hui que les zones désertiques. " Les vagues de chaleur pourraient aussi avoir un fort impact sur les températures nocturnes, avec de sérieuses conséquences pour la santé humaine ", ajoutent les auteurs.

" Nous avons été les premiers surpris par nos résultats : 50  0C ou 55 0C, c'est énorme ", confie l'un des signataires de l'étude, Samuel Somot, responsable de l'équipe de modélisation régionale du climat au CNRM. Faut-il alors mettre en cause la fiabilité du modèle utilisé ? Ce dernier, indique le chercheur, a déjà fait la preuve de sa robustesse, à la fois sur des périodes passées permettant de valider ses simulations et sur d'autres grandes zones géographiques, Europe, Afrique ou territoires ultramarins.

L'histoire n'est cependant pas écrite. " Nous avons choisi le scénario du pire, en faisant tourner un seul modèle que nous connaissons bien, pour voir où il nous -conduisait ", précise Samuel Somot. Autrement dit, la surchauffe peut encore être évitée.

" Tout dépendra des décisions politiques et économiques qui seront prises dans les années qui viennent, souligne le chercheur. Si l'accord de Paris - qui prévoit de limiter à 2  0C, et si possible 1,5  0C, le réchauffement par rapport à la période préindustrielle - est mis en œuvre, nous nous écarterons du scénario du pire. " Mais, prévient-il, le temps est compté : " C'est du niveau des émissions mondiales de gaz à effet de serre dans les deux décennies à venir que va dépendre le climat de la fin du siècle. "

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