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30 mai 2021 7 30 /05 /mai /2021 16:17

S’il est des leçons à tirer de la grave crise  sociale et écologique que nous traversons, c’est  la nécessité de soutenir et faire connaître les associations d’entraide et d’insertion qui par leur travail contribuent à la réduction des déchets, restaurent le lien social tout en créant de l’emploi. La tribune du groupe Les Lilas Écologie, Infos Lilas, juin 2021.

Crédit image : Laboratoire Écologique ø Déchet

Crédit image : Laboratoire Écologique ø Déchet

Ainsi l’association Les biffins d’Amelior a été créée pour aider les biffins, en général mal considérés, à s’organiser et à être reconnus. La précarité a en effet poussé nombre de personnes dans cette activité de recyclage d’objets trouvés dans les poubelles.

Le laboratoire Ecologique Zéro Déchet (LÉØ) occupe les locaux désaffectés de l’Epfif  à Pantin depuis 2019 (et est actuellement menacé d’expulsion). Il sensibilise les habitants des quartiers populaires au zéro déchets : réemploi, réparation,  ateliers de couture, cuisine … aide aux personnes en grande précarité. C’est aussi un lieu d’accueil pour de nombreuses associations.

Née en 2014 l’entreprise solidaire Baluchon – À table citoyens est une structure d’insertion implantée à Romainville qui propose des plats cuisinés avec des produits frais et de saison préparés par des personnes éloignées de l’emploi. Cet accompagnement leur donne de meilleures chances de renouer avec l’emploi durable.

On peut saluer de telles initiatives et encourager leur essaimage car le territoire d’Est Ensemble avec son taux de pauvreté de 30% en a plus que jamais besoin.

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19 mai 2021 3 19 /05 /mai /2021 08:20

Face aux épineux problèmes écologiques, les technologies numériques sont souvent présentées comme un remède, rendant compatibles nos vieillottes infrastructures avec les impératifs de sobriété. En reparcourant l’histoire de l’électricité et en analysant la manière dont cette énergie est aujourd’hui pensée, Gérard Dubey et Alain Gras offrent un recul critique salutaire sur les promesses soi-disant fabuleuses de notre présent. J’ai eu la chance de rencontrer l’un des co-auteurs, Alain Gras, après la publication de son livre « Le Choix du feu. Aux origines de la crise climatique », pour lequel il intervient dans mon film sur les pétroles de schiste, « Non conventionnel », filmé à l’amap La Courgette Solidaire, aux Lilas. Alain Gras est un sociologue des techniques, membre de l'Institut Momentum, et cofondateur d’Entropia, revue d’étude théorique et politique, et vous pouvez aussi retrouver ses chroniques régulières dans le mensuel La Décroissance. Le texte ci-dessous, intitulé « Transition numérique : pour continuer comme avant » pour sa publication dans Terrestres le 17 mai 2021, est le chapitre 14 du livre publié cette année au Seuil par Gérard Dubey et Alain Gras, « La Servitude électrique. Du rêve de liberté à la prison numérique ». Lire aussi Peut-on s’opposer à l’informatisation du monde ? et La « Troisième révolution industrielle » n’aura pas lieu.

La transition numérique renouvelle notre servitude électrique

Nous serions entrés, avec l’électronique et le numérique, le traitement de l’information et du signal, dans une autre ère, celle de la décomposition de chaque élément de réalité (sons, images, mots…) en unités ou en paquets d’unités discrètes interchangeables, en Shannons ou en bits. Ainsi l’électricité ne serait « plus qu’une commodité de transport de l’information (1) ». La réalité est tout autre et s’il y a bien transformation des usages, l’ère du numérique désigne avant tout une nouvelle phase d’expansion du modèle électrique.

Premièrement, parce que, comme une évidence qu’il devient inutile d’interroger, tous nos gadgets électroniques fonctionnent à l’électricité. L’empreinte énergétique directe (calculée à partir de la seule consommation finale) du numérique progresse ainsi d’environ 9 % chaque année (2) et consomme déjà 10 % de la production électrique mondiale (et 4 % de la consommation d’énergie primaire mondiale) (3). Ces besoins énergétiques sont bien sûr dus à l’explosion du nombre d’internautes dans le monde qui a atteint les 4,54 milliards en 2020, soit une augmentation de 7 % (298 millions de nouveaux utilisateurs) depuis janvier 2019. L’idée couramment avancée selon laquelle le bilan carbone d’un usage régulier du numérique (1 heure de vidéo par jour pendant un an représenterait 48 kg équivalent CO2) serait incomparablement inférieur à celui d’un vol transatlantique aller-retour (3 000 kg équivalent CO2) se révèle par exemple parfaitement spécieuse. D’abord parce que ces deux pratiques, mesurées séparément, s’additionnent dans la réalité. Ensuite et surtout parce que cette façon d’évaluer ne prend en compte que les pratiques individuelles et non leur effet d’agrégation. Or la consommation d’objets issus du numérique – les quelques chiffres cites en témoignent – est un phénomène de masse (il se vend environ chaque année dans le monde 130 millions de smartphones – même si ces chiffres sont en baisse. En 2019 leur nombre a atteint 1,4 milliard, pour 700 millions en 2012) ! Encore ces chiffres nécessitent-ils d’être constamment révisés, notamment en raison de l’essor spectaculaire des usages de la vidéo (le streaming, Skype…) (4), de l’arrivée de la 5G ou encore des perspectives ouvertes par la voiture autonome, les smart city et l’IOT… Avec 1 gigabit de données par seconde (et bientôt 10), la 5G est 100 fois plus rapide que la 4G actuelle. Elle devrait permettre, nous promet-on, de télécharger un film en ultra haute définition en 10 secondes, mais démultiplie d’autant la quantité de données à stocker et conserver (données qui devraient passer de 15 zettaoctets en 2017 à 40 en 2020) (5).

Si le coût unitaire moyen des objets numériques diminue, celui-ci est en fait de plus en plus déconnecté de son coût de revient réel, à savoir celui des ressources en énergie et en intrants matériels (combustibles fossiles, produits chimiques, métaux, terres rares, eau, gaz, etc.) impliques dans la chaîne complète de fabrication (6). Le seul visionnage de vidéos en ligne a génère dans le monde en 2018 une quantité de gaz à effet de serre équivalent a ce qu’émet un pays comme l’Espagne (7). Le développement d’un programme d’apprentissage automatique standard, symbole du ≪ miracle de nouvelle intelligence artificielle ≫ (Machine Learning), produit 284 tonnes d’équivalent CO2 (soit cinq fois ce qu’émet tout le cycle de production-destruction d’une automobile) (8). L’effet rebond, auquel nous nous sommes déjà plusieurs fois référés, s’applique ici plus que jamais. Ce que ces données quantitatives tendent toutefois à occulter est la question existentielle sous-jacente a ce consumérisme compulsif. Si la demande en produits numériques progresse plus vite que les efforts entrepris pour en réduire l’empreinte énergétique, c’est que le rapport au monde productiviste sur lequel elle repose s’est diffusé sur toute la planète. La réduction de l’existence a une succession d’instants déliés les uns des autres a notamment fait de la consommation (l’instant compulsif de l’achat) le geste par lequel l’individu se donne l’illusion d’être présent à lui-même. Tant que la perte de sens n’aura pas été clairement identifiée comme ce qui confère à la consommation cette valeur compensatoire, il y a peu d’espoir que les choses changent en profondeur.

La filiation de l’électrique et du numérique se manifeste enfin au niveau structurel. La logique de branchement propre au macro-système technique se prolonge aujourd’hui dans la toile du grand réseau mondial. L’ère du sans-fil (wifi), ou l’asservissement de l’atmosphère a la circulation de l’information, n’est qu’un leurre de plus au service de la fiction d’une dématérialisation du monde industriel alors même que l’essentiel de l’information transite plus que jamais par des câbles bien physiques, pour être ensuite relayées localement par des antennes relais, et que toute information a pour point de départ une impulsion électrique. Le cyberespace est bien le clone en même temps que le perfectionnement du réseau télégraphique d’hier. 99 % du trafic mondial d’internet, 90 % des appels téléphoniques (9) et l’équivalent de 10 billions de dollars d’opérations financières quotidiennes transitent ainsi par des câbles sous-marins et non par voie satellitaire (déjà très encombrée) (10).

Aux premières lignes télégraphiques terrestres et transatlantiques qui relient les places financières dans l’objectif d’accélérer les transactions (ligne télégraphique reliant la bourse de Paris a celle de Lille en 1849 puis première ligne transatlantique en 1858 (11)) fait aujourd’hui écho le réseau mondial de la City of London Telecommunications (12). Avec déjà 6,4 milliards d’objets connectes dans le monde en 2016 et 20,4 milliards estimes en 2020, une consommation de données mobiles en croissance rapide de 15 exaoctets en 2017 a 107 exaoctets prévus en 2026 (13), le câblage des continents ainsi que la lutte pour le contrôle de ces flux ont de beaux jours devant eux. Actuellement, 430 câbles sous-marins sont déployés sur plus de 550 000 miles soit presque un million de kilomètres (14).

Impérialisme numérique : l’expansion de la logique de branchement

Tout cela suscite des convoitises et déchaîne l’appétit des grands opérateurs du numérique (GAFA, Yahoo, Alibaba, ebay…), les seuls avec les grands États nationaux à pouvoir financer l’installation et l’entretien de tels réseaux. Ils sont aujourd’hui présents dans au moins 22 consortiums d’exploitation des câbles sous-marins (Google est à lui seul présent dans 11 d’entre eux). Le moteur de recherche a investi 30 milliards de dollars (25,7 milliards d’euros) entre 2015 et 2017 dans son infrastructure globale sur laquelle passe 25 % du trafic internet mondial. Le contrôle de ces infrastructures ≪ invisibles ≫ est ainsi devenu l’enjeu de vives tensions internationales. La Federal Communications Commission (FCC) américaine oblige toute entreprise étrangère souhaitant acheter une structure de ce type à mettre en place un ≪ Network Operations Center ≫ sur le sol américain (capables de répondre dans un délai de 30 minutes aux requêtes des autorités) (15). C’est la raison pour laquelle l’entreprise chinoise Huawei a dû renoncer à construire son propre câble entre l’Europe et les États-Unis. Et cela ne fait sans doute que commencer.

Un monde, enfin, pas si global qu’il en a l’air si l’on considère la distribution des flux et des câbles à travers le monde. À l’exception de la zone Asie, la carte des flux d’informations réplique celle des échanges commerciaux depuis la constitution des premiers grands empires coloniaux. En 1913, le Royaume-Uni disposait du plus grand réseau mondial de câbles télégraphiques (à l’image de son empire, avec 330 000 km). Si les États-Unis ont depuis longtemps pris le relais, le déséquilibre avec le continent africain ou sud-américain demeure criant. La nouveauté réside cette fois dans la prise de contrôle progressive des réseaux optiques par les grands opérateurs du numérique (nord-américains et chinois pour l’essentiel) et notamment des zones d’atterrissage. Les datas centers, au nombre de 338 en 2016 constituent désormais les principaux points de chute des câbles sous-marins. Le câble Marea mis en service par Microsoft et Facebook et qui relie Bilbao et Virginia Beach (6 600 km pour 160 térabits) est ainsi considéré comme le plus puissant du monde (16)… Les enjeux nationaux et étatiques ne sont évidemment jamais bien loin et ne font en somme que changer d’apparence. Le projet d’installation de datacenters chinois en Islande montre que le programme des routes de la soie vise à contrôler les flux d’information mondiaux en prenant le contrôle de lieux stratégiques. En plus de raisons géostratégiques, le projet des « routes polaires de la soie » présente un intérêt énergétique évident, celui de bénéficier de conditions climatiques très favorables au refroidissement à moindre coût de ces installations énergivores (17). La guerre de l’information est une lutte à mort pour le contrôle des signes, des choses et des êtres.

Nous savons que l’industrie du numérique consomme pour la fabrication des téléphones portables et des ordinateurs 19 % de la production de métaux rares dans le monde et 33 % de la production de cobalt et que l’exploitation de ces matières premières passe par l’exploitation brutale de centaines de milliers de travailleurs-esclaves par l’industrie minière (18), dont un nombre important d’enfants (cas de la République démocratique du Congo) (19). L’instabilité politique des pays producteurs est entretenue pour assurer la pérennité des affaires dans un contexte de non-droit. Trafic d’armes, corruption et exacerbation des tensions ethniques contribuent ainsi à garantir l’approvisionnement des grands industriels du numérique.

Mais cette prédation est multiforme et les infrastructures numériques servent aussi à dissimuler une division internationale du travail qui laisse de moins en moins d’espace aux luttes sociales. De ce point de vue les fantasmagories de ce début de XXIe siècle ressemblent à s’y méprendre à celles du XIXe finissant évoquée au deuxième chapitre, masquant la brutalité des réalités sociales d’alors comme d’aujourd’hui. La fée électricité devait réenchanter le monde du travail, le nettoyer des souillures de la matière et de l’atmosphère délétère de l’usine. La numérisation propose aujourd’hui de rendre au travailleur l’autonomie perdue en le libérant des oppressions de l’ère industrielle taylorienne-fordiste. Les apôtres de la « transition numérique » ne manquent pas une occasion d’expliquer de quelle manière le numérique libère le travail, en faisant exploser l’enceinte disciplinaire de l’entreprise ainsi que les rapports de subordination qui s’y rattachent. Le travail renouerait par ce biais avec les anciennes vertus du « travail vivant » : autonomie, maîtrise et surtout priorité donnée au sens. Tous auto-entrepreneurs « peer-to-peer », « gagnant-gagnant » sont ses cache-misères et ses mots d’ordre. Mais, de même que la lampe à arc avait surtout permis d’allonger la journée de travail (chapitre premier), ces promesses d’émancipation sont pour la plupart déjà mort-nées. La phase électronumérique d’organisation du travail fait plus vraisemblablement écho à une nouvelle phase d’expansion du capitalisme (20), celle de la marchandisation des relations sociales primaires jusqu’à présent épargnées. Pour André Gorz les technologies numériques, « technologies de la relation et de l’immatériel », devaient revaloriser les activités et les échanges non marchands à l’instar des activités relationnelles d’aide à la personne (21). Mais l’économie des « plateformes » (mot délibérément neutre et anodin qui désigne au sens propre un espace physique de transit des marchandises) reflète plutôt la diffusion de la rationalité techno-industrielle à tous les aspects de la vie sociale. Les relations de solidarité intrafamiliales, les tâches domestiques ou les liens commensaux (22) constituent ainsi le nouvel Eldorado des plateformes de « services ». Celles-ci sous-traitent à une multitude de prestataires-prolétaires dispersés et isolés à l’échelle de la planète une multitude de micro-tâches insignifiantes, en déjouant les règles élémentaires du droit du travail (23). Ce que l’on qualifie par un bel euphémisme de crowdsourcing ( « ressources de la foule ») n’est rien d’autre que la forme prise par cette nouvelle économie de prédation à laquelle l’alliance de l’électrique et du numérique confère une efficacité inégalée.

Écologie numérique : le retour de la fée prodigieuse

La promesse d’une « écologie numérique », autrement dit, l’idée selon laquelle nous pourrions renouer une relation amicale avec la Terre depuis ce qui symbolise au plus haut point son artificialisation, part au fond du même principe que celui d’une réconciliation du capital et du travail par la grâce du numérique. Pour Philippe Monloubou, président d’Enedis, la vraie révolution réside ainsi dans l’architecture et l’organisation des réseaux intelligents (smartgrid). L’internet des objets devrait notamment permettre, via les compteurs Linky par exemple, de relier grands et petits producteurs d’énergie (24), consommateurs et producteurs (on parle à cette occasion de « prosumers », néologisme de producer et consumer), production fossile et non fossile sur la base d’une information distribuée en temps réel et accessible à tous.

Nous passerions ainsi – pour reprendre une terminologie en vogue dans la novlangue managériale – d’une organisation verticale (top down) à une organisation horizontale (bottom up), rhizomique, ou encore personnalisée de l’énergie, supposément plus proche des besoins réels, donc plus efficiente (25). La même logique techno-managériale que celle qui prévaut dans l’économie des plateformes (le prosumer remplaçant ici le « consom’acteur ») se trouve mobilisée ici dans le domaine de l’énergie. Et, surprise, engendre les mêmes effets. Au lieu de la décentralisation-relocalisation promise, d’importants mouvements de concentration ont déjà lieu comme ceux que l’on observe aujourd’hui entre les grands acteurs du monde industriel. La voiture électrique (chapitre 12), bientôt semi-autonome, avec ses batteries rechargeables est, par exemple, déjà pensée et présentée par les constructeurs automobiles comme une unité de production énergétique. Connectées aux réseaux, les batteries seront déchargées aux heures creuses et leur électricité réinjectée sur le réseau afin de compenser les variations de production. Toute cette hypercomplexité débouche très logiquement sur des alliances historiques entre les grands acteurs de l’automobile et ceux de l’énergie (Nissan-Renault/Enedis, ERDF…) (26). Notons toutefois que si l’augmentation capacitaire des réseaux « intelligents » s’inscrit bien dans la logique classique de contrôle et de gestion des flux propre aux macro-systèmes techniques, elle vise d’abord à neutraliser ce qui est pressenti comme un obstacle majeur à leur expansion. Il s’agit, nous explique-t-on, de mieux réguler pour mieux consommer, plus sobrement et plus intelligemment. Mais il s’agit surtout de lisser (joli mot pour dire éliminer) les phénomènes de baisse de tension liés à l’intermittence (du photovoltaïque ou de l’éolien), en jouant en temps réel sur l’ensemble des points du réseau connecté (cela se pratique déjà à l’échelle des grands réseaux mais risque de devenir la norme pour l’ensemble des acteurs). On espère ainsi, d’une part faire entrer les renouvelables dans le régime de prédictibilité propre au capitalisme, d’autre part faire revenir dans l’enclos les brebis égarées, c’est-à-dire les sources de production locales et autonomes qui menaçaient d’en sortir. L’internet des objets, la 5G, les smartgrids et les compteurs Linky interviennent ainsi pour interdire ou retarder des changements d’ordre qualitatifs, énergétiques mais surtout politiques, comme celui qui aboutirait par exemple à libérer le travail des contraintes du productivisme (27). La cible a bien été identifiée : le temps discontinu, reflet des pulsations de la terre et du monde de la vie.

Un autre argument en faveur d’une « écologie numérique » serait de rendre visible (tangible, palpable) l’invisible, à savoir la dépense énergétique et l’énergie elles-mêmes, bref de responsabiliser le consommateur pour en faire un écocitoyen. Les compteurs « communicants » Linky intégrés à l’internet des objets devraient, selon cette hypothèse, non seulement permettre à chacun de visualiser instantanément sa consommation mais également de mettre cette dernière en rapport avec l’état global de la production. « On peut imaginer – commente ainsi Éric Vidalenc –, un voyant vert qui donnerait un signal (voire piloterait directement l’activation, selon des règles prédéfinies par l’utilisateur) lorsque la production d’énergie solaire ou éolienne bat son plein et qu’il est donc pertinent de recharger sa voiture (28)… » L’idée ne manque pas de piquant, lorsque l’on sait tout ce que le régime de surconsommation en produits numériques et électriques doit à l’image d’ « immatérialité » qu’ils véhiculent. Plus surprenante encore est l’idée selon laquelle cette écoréflexivité citoyenne (la possibilité de connaître sa consommation individuelle) générerait presque automatiquement des comportements énergétiques plus sobres et vertueux. Il est bien difficile d’imaginer comment un système technique aussi normatif pourrait inciter les individus à devenir plus autonomes et réceptifs aux intérêts collectifs. Pour reprendre l’analyse de René Riesel et Jaime Semprun, il n’est pas dans ce projet gestionnaire de fabrication de la nature « une manifestation spontanée de la vie qui ne soit ravalée au rang d’objet passif à organiser, […] il faut combattre et supprimer tout ce qui existe de façon autonome, sans les secours de la technologie, et qui ne saurait donc être qu’irrationnel (29) ». La même critique que celle qui vaut pour l’écocitoyen vaut ici pour le sujet de l’écologie numérique. Véritable incarnation du géopouvoir, celui-ci n’est qu’un sujet passif soumis aux solutions des experts géocrates30. Tous ces dispositifs ont finalement pour conséquence de nous enfermer un peu plus dans une normativité propice au déploiement des grands systèmes techniques. En règle générale, lorsqu’elle se coule dans le moule de l’approche systémique, la « pensée » écologique se transforme aussitôt en auxiliaire de la rationalité gestionnaire. La réflexivité attendue de l’écocitoyen, pour de « bonnes pratiques » réellement « vertueuses », n’est en réalité, nous le verrons, que le pendant de l’autocontrôle propre aux systèmes autorégulés de la cybernétique. Elle appelle à perfectionner et à diversifier toujours plus les moyens de contrôle et de monitoring.

Par la grâce de l’intelligence artificielle, du numérique et des réseaux se trouve ainsi renouvelée la promesse que tout pourra continuer comme avant. Le même fantasme d’un usage à volonté de la force survit aux désastres qu’il engendre. L’écologie numérique rejoue la fiction de l’énergie pure et immaculée que jouait au XIXe siècle l’électricité. Elle permet surtout d’éluder la question décisive que nous adressent les énergies naturelles : celle du caractère mortifère de la temporalité secrétée par le monde industriel. Il y a au moins un point avec lequel nous pouvons en apparence tomber d’accord avec les promoteurs du tout numérique : la « révolution numérique » est bien la quatrième révolution industrielle après celle de la vapeur, de l’électricité et de l’automatisation. Mais au sens où elle prolonge, cumule et potentialise les trois précédentes et constitue la dernière étape du processus d’industrialisation amorcé il y a deux siècles. Comment s’extraire de ce cercle vicieux ? Peut-être en convenant que le point à partir duquel nous pouvons imaginer sortir du cercle se trouve sous nos yeux, dans la conscience grandissante de l’enfermement auquel aboutit une puissance technologique indifférente à l’expérience ordinaire comme au besoin de présence des êtres humains.

Notes

1 Tristan Garcia, La Vie intense, Autrement, 2016,
2 Françoise Berthoud et al., « Lean ICT : pour une sobriété numérique », rapport du groupe The Shift Project, octobre 2018
3 Frédéric Bordage (dir.), « Empreinte environnementale du numérique mondial », GreenIT.fr, octobre 2019. Voir aussi : Fabrice Flipo, « La face cachée du numérique », Notes de la FEP, juillet 2020
4 Voir par exemple, « Climat : l’insoutenable usage de la vidéo en ligne », rapport piloté par Maxime Efoui-Hess pour le think tank The Shift Project, juillet 2019.
5 Philippe Bihouix, Le bonheur était pour demain, Seuil, 2019
6 Sacha Loeve. « La Loi de Moore : enquête critique sur l’économie d’une promesse », p. 13, postprint généré par l’auteur. Publié dans le volume collectif : Marc Audétat (dir.), Sciences et technologies émergentes : pourquoi tant de promesses ?, Paris, Hermann, 2015, p. 91‑113
7 Maxime Efoui-Hess (dir.),
8 Sébastien Broca, « Le numérique carbure au charbon », Le Monde diplomatique, mars 2020
9 Propos recueillis de Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux internationaux d’Orange, par le journal Le Monde, dossier « Internet, la bataille du réseau », 26 juin 2018
10 30 000 objets de 10 cm et plus (dont 1 400 satellites actifs), auxquels s’ajoutent 750 000 objets de 1 cm et plus, 135 millions de 1 mm ou plus, qui évoluent à très grande vitesse (un objet de 1 cm de diamètre aura la même énergie qu’une berline lancée à 130 km/h environ) et dont 10 à 20 % retombent sur Terre. Source CNES : https://cnes.fr/fr/dossier-debris-spatiaux-ou-en-est
11 Pascal Griset, « Un fil de cuivre entre deux mondes : les premières liaisons télégraphiques transatlantiques », Quaderni, n° 27, 1995, p. 97‑114
12 « L’opérateur de réseau fibre optique Colt – dont le nom vient de City of London Telecommunications – est né pour répondre aux besoins de fiabilité et de temps d’accès hypercourts de la finance londonienne à l’heure du trading haute fréquence. Colt a tissé son propre réseau mondial de 187 000 km de fibre optique, qu’il revend en gros aux opérateurs ou aux entreprises », in « Internet, la bataille du réseau », Le Monde, art. cité
13 Source Gartner, « Internet, la bataille du réseau », Le Monde, art. cité
14 Alexandre Laparra, « Les câbles sous-marins : la guerre invisible de l’information », Geolinks, Observatoire en géostratégie de Lyon, http://www.geolinks.fr/les-cables-sous-marins-la-guerre-invisible-de-linformation/
15 Alexandre Laparra, « Les câbles sous-marins… », art. cité
16 Le groupe français Naval Group (ex DCN, aux activités militaires et civiles) travaille, au large de l’Écosse, à un projet de data centers immergés et encapsulés pouvant contenir jusqu’à 864 serveurs. L’objectif est toujours de raccourcir le temps d’accès aux données… et de se rapprocher des grands centres urbains pour la plupart situés en bord de mer
17 Charlie Osborne, « Does China’s Route to Infrastructure Control Run Through Iceland’s Data Centers ? », 4 juin 2019, Sur la course technologique entre États-Unis et Chine, voir Jean-Michel Valantin, L’Aigle, le Dragon et la Crise planétaire, Paris, Seuil, « Anthropocène », 2020.
18 Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les liens qui libèrent, Paris, 2018
19 En décembre 2019, le collectif International Rights Advocates (IRAdvocates) a déposé plainte devant la justice fédérale américaine contre les principaux représentants de l’industrie du numérique. « USA : Apple, Google, Dell, Microsoft et Tesla poursuivis pour exploitation d’enfants dans les mines de cobalt de la RD Congo », 16 décembre 2019
20 Voir par exemple sur ce thème, Branko Milanovic, Capitalism, Alone, Harvard University Press, 2019
21 André Gorz, L’Immatériel, Paris, Galilée, 2003
22 Blablacar est par exemple une forme de marchandisation de l’auto-stop. Voir Dominique Desjeux et Philippe Moati (dir.), Consommations émergentes. La fin d’une société de consommation ?, Lormont, Le Bord de l’eau, « Mondes marchands », 2016.
23 Antonio Casilli, « De la classe virtuelle aux ouvriers du clic. La servicialisation du travail à l’heure des plateformes numériques », Esprit, n° 454, mai 2019, p. 79‑89 et En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Paris, Seuil, 2018. Pour une synthèse des principaux travaux réalisés depuis une dizaine d’années sur l’envers de la nouvelle économie, voir Sarah Abdenour et Dominique Méda, Les Nouveaux Travailleurs des applis, PUF, Paris, 2019.
24 Ils seraient de l’ordre de 400 000 aujourd’hui en France.
25 Philippe Malabou, propos recueillis lors de l’émission « L’ubérisation de l’énergie », LCP, 15 septembre 2019.
26 Ces rapprochements ont été précédés, dans le domaine des industries de l’informatique, par le consortium industriel GreenGrid. Imaginé en 2006, entre autres par Dell, Hewlett Packard et IBM, pour mettre en place un programme de « verdissement » des réseaux informatiques, sa création officielle remonte à 2015. Il rassemble aujourd’hui plus de 500 grands acteurs du domaine.
27 Sur cet aspect de la question, voir Gérard Dubey et Pierre de Jouvancourt, Mauvais temps. Anthropocène et numérisation du monde, Paris, Éditions Dehors, 2018.
28 Éric Vidalenc, Pour une écologie numérique, Paris, Les petits matins/Institut Veblen, 2019, p. 99. Des thèses semblables sont naturellement développées par Jeremy Rifkin.
29 René Riesel et Jaime Semprun, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, L’encyclopédie des nuisances, 2008, p. 70
30 « C’est un être branché sur des flux de services écosystémiques que lui prodiguent les différents compartiments du système terre », in C. Bonneuil et J.-B. Fressoz, L’Événement Anthropocène, op. cit., p. 112.
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16 mai 2021 7 16 /05 /mai /2021 09:37

Rassemblés sous la bannière de Plus jamais ça !, Greenpeace, Oxfam, la CGT ou encore Solidaires signent un programme commun pour une transition écologique créatrice d’emplois. De leur côté, l’institut Rousseau et Hémisphère gauche proposent « un emploi vert pour tous » : un plan pour sortir du chômage de masse et assurer la transition écologique en créant un million d’emplois. D’après Plus jamais ça, L'Institut Rousseau, Hémisphère Gauche, Politis et Vert.eco, mai 2021. Lire aussi De la CGT à Greenpeace, une alliance inédite entre syndicats et mouvements écologistes, et Plus jamais ça ! Construisons ensemble le jour d’après.

Dimanche 9 mai, Oxfam, Greenpeace, la CGT, Attac ou encore, Solidaires étaient rassemblés sous la bannière de Plus jamais ça dans le cortège parisien de la manifestation pour le climat. © Oxfam

Dimanche 9 mai, Oxfam, Greenpeace, la CGT, Attac ou encore, Solidaires étaient rassemblés sous la bannière de Plus jamais ça dans le cortège parisien de la manifestation pour le climat. © Oxfam

« Pas d’emplois sur une planète morte ! » C’est derrière cette banderole que les meilleurs ennemis du collectif Plus Jamais ça ! se sont retrouvés, dimanche, lors de la marche parisienne pour le climat. Depuis leur première tribune collective en mars 2020, qui appelait à « reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social », quinze organisations de tous bords s’attachent à dépasser leurs clivages pour constituer un large front écologique et social.

Paru le 6 mai, leur dernier rapport est un véritable programme politique qui promet de préserver à la fois la planète, l’emploi et les droits sociaux. Battant en brèche les idées reçues selon lesquelles la transition écologique supprimerait des emplois, la mondialisation serait inéluctable ou encore, qu’il n’y aurait pas d’emplois sans croissance économique.

Un programme commun qui réunit écolos et syndicats

25 propositions sont déclinées, qui ont en commun de mettre d’accord la gauche « merguez » – celle des syndicats historiques (CGT ou Solidaires) – et la gauche « quinoa », issue des mouvements écologistes. Parmi celles-ci : la lutte contre la dérégulation du commerce international et les traités de libre-échange, la suppression des niches fiscales inutiles ou encore des contreparties écologiques et sociales aux aides d’État versées aux entreprises.

Plutôt que de les éluder, les signataires ont également évoqué leurs sujets de désaccords : nucléaire, taxe carbone, décroissance… « Nous avons laissé certains débats ouverts, pour les approfondir par la confrontation et l’expérimentation sur le terrain, par la délibération démocratique », expliquent les signataires du rapport.

Un programme commun qui réunit écolos et syndicats

Un million d’emplois verts contre le chômage et la crise climatique

Plutôt que de laisser perdurer le chômage de masse et ses conséquences délétères sur les individus, deux think tanksl’institut Rousseau et Hémisphère gauche – proposent que l’État embauche un million de personnes sans emploi pour accélérer la transition écologie. Une initiative baptisée « Un emploi vert pour tous »

Pour ce faire, les organisations suggèrent de généraliser l’expérience Territoires zéro chômeurs pour offrir des emplois subventionnés par l’État à hauteur de 20 000 euros par an. 1 000 personnes en ont déjà bénéficié depuis 2016. Agriculture, économie circulaire, construction écologique, rénovation thermique : leur proposition cible « les emplois nécessaires à la reconstruction écologique et au renforcement du lien social ». Une large part de ce plan ambitieux serait financé par des transferts depuis l’assurance-chômage, un bénéfice sur les recettes de TVA générées, ou le rétablissement de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Soutenue par de nombreuses organisations, comme Alternatiba ou les Amis de la Terre, cette initiative se revendique du Civilian conservation corps : créé par le président américain Théodore Roosevelt, celui-ci employa trois millions d’Américain·e·s au sortir de la crise économique de 1929 et permit de construire des centaines de parcs nationaux, des dizaines de milliers de ponts, et de planter 3,5 milliards d’arbres.

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19 avril 2021 1 19 /04 /avril /2021 16:49

Avec ses importations, l’Union européenne est la deuxième région la plus destructrice de forêts tropicales, avance un rapport de WWF publié le 14 avril 2021. En Europe même, la Pologne a annoncé début mars la reprise des coupes dans la forêt de Bialowieza, considérée comme l’une des dernières forêts primaires d’Europe, ranimant une bataille engagée pour sa protection voilà cinq ans. En France, le ministère de la Transition écologique n’hésite pas à créer de nouveaux espaces protégés, mais rechigne sur le nombre de postes que nécessitent ces lieux riches en biodiversité. Les parcs nationaux ont perdu entre 15 % et 20 % de leurs effectifs en dix ans, créant des souffrances chez ces professionnels investis et passionnés. D’après WWF, Marie-Noëlle Bertrand et Louise Gal pour l’Humanité, mars-avril 2021. Lire aussi Les forêts françaises attaquées par la sécheresse, Face aux méga-feux, la forêt, un commun à préserver, Notre forêt publique est malade de sa course à la rentabilité et « Le Temps des forêts » : l’exploitation de la forêt est entrée dans la démesure.

En 2017, l’Union européenne se classe au second rang des plus grands importateurs de matières premières liées à la déforestation (photo WWF)

En 2017, l’Union européenne se classe au second rang des plus grands importateurs de matières premières liées à la déforestation (photo WWF)

Engagements « zéro déforestation », certifications volontaires… les garanties avancées par le secteur privé en matière de préservation du couvert forestier suffisent-elles à freiner l’érosion de la biodiversité ? Non, à en croire le rapport publié le 14 avril par le WWF. « Dans le monde entier, les (écosystèmes naturels) continuent d’être détruits à un rythme alarmant », s’inquiète l’ONG internationale dans cette analyse de données mondiales portant sur la période 2005-2017.

Durant ces treize années, l’expansion de l’agriculture dans les régions tropicales a été responsable, à elle seule, de la perte d’environ 5 millions d’hectares de forêt par an. Soja, huile de palme et viande de bœuf s’affichent comme les productions à plus haut risque de défrichage massif.

Des matières en grande partie destinées à l’exportation, entre autres vers l’Union européenne (UE) : en 2017, et toujours selon le rapport du WWF, cette dernière était responsable de 16 % de la déforestation liée au commerce international. Elle se plaçait ainsi en deuxième place sur le podium des mangeurs de forêts, loin derrière la Chine (24 % de la déforestation dite importée), mais largement devant les États-Unis (7 %).

Une obligation de transparence de toute la chaîne d’approvisionnement

Depuis une petite dizaine d’années, pourtant, les groupes industriels, y compris européens, se sont engagés à apurer leurs fournitures. Labels, engagements et autres certifications d’écoresponsabilité se sont multipliés. Seulement voilà, souligne le rapport du WWF, ces serments sont à portée variable et à impact encore léger.

D’abord, parce qu’ils ne couvrent ni tous les produits, ni partout. En 2018, 62 % des importations européennes de soja en provenance d’Amérique du Sud étaient couvertes par un engagement « zéro déforestation » – objectif volontaire que se fixent les industriels et autres négociants –, contre 19 % des importations de bœuf sud-américain (en 2017).

Concernant le soja, toujours, l’Amazonie brésilienne bénéficiait de la plus grande couverture d’engagement (97 % du volume exporté), tandis que la forêt atlantique (Paraguay/Argentine/Brésil) souffrait de la plus minime (46 % du volume exporté). Surtout, l’effet de ces engagements sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement « n’est pas, à ce stade, établi dans de nombreux cas », relève le rapport.

L’exemple du soja du Cerrado, forêt à cheval entre le Brésil, le Paraguay et la Bolivie et dont les données annuelles sont « fiables et disponibles », montre que les engagements des entreprises n’ont pas réduit de manière significative la déforestation : dans les années suivant leur adoption, les entreprises n’ont pas connu « une baisse de leur empreinte déforestation par unité de soja sourcée ».

Les systèmes de certification des matières premières affichent eux aussi des résultats ambigus. Censés favoriser une consommation plus durable sur le marché de l’UE, « ces programmes reposent sur un ensemble de critères environnementaux et sociaux qui peuvent être très différents selon la matière première », souligne le rapport. Là encore, ils n’exigent pas nécessairement que l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement soit garanti sans déforestation.

Ces systèmes peuvent ainsi permettre à des entreprises d’acheter et de certifier un volume de matières premières, dont une partie seulement provient d’une source garantie. Si, « dans certains cas, la certification a permis de réduire (la perte du couvert forestier) », dans d’autres « elle n’a eu aucun impact mesurable », conclut le WWF.

Elle-même partie prenante de programmes de certifications, l’organisation plaide pour une législation européenne impliquant, entre autres, une obligation de transparence tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Cette réglementation devra s’adresser au vendeur autant qu’à l’acheteur, avance-t-elle en substance, et ce, quelle que soit la taille de l’entreprise.

Quand les europeens consomment, les forets se consument - Rapport WWF 14 avril 2021

En Europe, dans la forêt de Bialowieza, une menace plane sur la biodiversité

Début mars, le pays a annoncé la poursuite de l’exploitation contestée de ce site classé, reconnu comme l’une des dernières forêts primaires du continent. La décision émeut. L’exécutif a beau s’engager à viser une reprise raisonnée des abattages et cohérente avec la protection du lieu, son annonce jette un froid et présage la réactivation d’une longue bataille.

Elle démarre en 2016, peu après la victoire du très réactionnaire parti Droit et Justice (PiS). Sous prétexte d’éviter la prolifération du bostryche typographe, un coléoptère xylophage qui raffole des sapins, le ministre de l’Écologie d’alors, Jan Szyszko, autorise l’abattage d’une large zone de Bialowieza. Le site s’étale jusqu’en Biélorussie, où il est quasi intégralement préservé. Ce n’est pas le cas en Pologne, où une faible part de sa superficie bénéficie d’un statut protecteur. La richesse de son écosystème n’en est pas moins reconnue de part et d’autre de la frontière.

1 500 personnes se relaient pour des actions de désobéissance civile

Ancienne réserve de chasse féodale nationalisée en 1917, Bialowieza s’impose comme une forêt de référence pour les scientifiques depuis le XIXe siècle. En 1976, l’Unesco la classe réserve de biosphère. Ses 125 000 hectares abritent des chênes de plus de 500 ans, des charmes, des bouleaux et des pins, des ours bruns, des loups, des élans, ainsi que la plus grande population sauvage de bisons européens. Tout un monde soudain menacé, côté Pologne, par le plan du gouvernement, qui prévoit alors, sur dix ans, l’abattage de quelque 180 000 mètres cubes d’arbres.

Au printemps 2017, les premières abatteuses arrivent sur place. Au même moment, une résistance s’organise, rassemblant des militants venus de Pologne, d’Espagne ou encore d’Australie. Pendant six mois, près de 1 500 personnes se relaient pour mener des actions de désobéissance civile.

Les défenseurs de l’environnement manifestaient en 2017 pour la défense de la forêt de Bialowieza, un sanctuaire de biodiversité unique en Europe. Janek Skarzynski/AFP

Les défenseurs de l’environnement manifestaient en 2017 pour la défense de la forêt de Bialowieza, un sanctuaire de biodiversité unique en Europe. Janek Skarzynski/AFP

La Commission européenne, de son côté, saisit la Cour de justice de l'Union européenne (Cjue). En avril 2018, cette dernière estime que le motif invoqué par la Pologne ne peut pas justifier de telles « opérations de gestion forestière ». Elle pointe aussi l’absence d’ « évaluation appropriée » préalable et déplore que les décisions ne comportent pas « de restrictions tenant à l’âge des arbres ou aux peuplements forestiers ».

Une réduction des quotas d’abattage qui ne suffit pas à rassurer

Et puis, plus rien. Jusqu’au 18 février dernier, où la Commission européenne a rappelé la Pologne à son devoir. Elle « n’a pas abrogé l’annexe du plan de gestion forestière » de Bialowieza  « et ne l’a pas remplacée par des mesures susceptibles de préserver l’intégrité du site », observe-t-elle dans un communiqué, laissant deux mois au pays pour prendre des mesures. Il n’a pas attendu si longtemps.

Le 9 mars, l’exécutif polonais a annoncé la signature d’une annexe au plan de gestion forestière. Les modifications apportées conduisent « à réduire de près de 60 % la quantité de bois récolté », assure-t-il. Elles permettront ainsi « de protéger activement les habitats et les espèces de valeur, conformément aux directives de l’Unesco ».

Tout le monde, toutefois, ne la lit pas ainsi. Greenpeace Pologne singulièrement, selon qui la réduction des quotas d’abattage est loin de garantir à elle seule la protection du site. Les documents avancés « enfreignent le droit à l’environnement à bien des égards », relève l’organisation. « Ils sont fondés sur un inventaire inexact et désuet des habitats forestiers », et continuent de « permettre l’exploitation forestière dans des peuplements naturels vieux de 100 ans. » Le gouvernement polonais « a eu trois ans pour trouver la meilleure façon de protéger la forêt de Bialowieza, conclut, furibarde, l’organisation. Et après trois ans d’inaction, il a décidé de procéder de la manière la plus destructrice. »

Parc des Cévennes, 2011 (photo Damourette-BNT-SIPA)

Parc des Cévennes, 2011 (photo Damourette-BNT-SIPA)

Dans les parcs nationaux français, l’emploi des agents est mal protégé

En France, le ministère de la Transition écologique n’hésite pas à créer de nouveaux espaces protégés. Il lésine, en revanche, sur le nombre de postes que nécessitent ces lieux riches en biodiversité. Les parcs nationaux ont perdu entre 15 % et 20 % de leurs effectifs en dix ans. Quitte à créer des souffrances chez ces professionnels investis et passionnés.

Il est 8 heures, en ce frais matin de mars. Géraldine Costes, garde monitrice au sein du Parc national des Cévennes (PNC), commence sa mission de terrain dans une forêt qui surplombe le village de Meyrueis. Elle y effectue un diagnostic écologique afin que le propriétaire en connaisse les enjeux et sache comment l’administrer. Aujourd’hui, celle qui a les yeux qui pétillent lorsqu’elle parle de son métier est à la recherche de l’érythrone dent-de-chien, une fleur rare au sein du parc, afin d’en cartographier la présence.

Il faut une fine connaissance de la forêt, un grand sens de l’observation et surtout du temps pour repérer ces petites fleurs roses dissimulées par la neige. Mais, du temps, les gardes moniteurs n’en ont plus, regrette ­Géraldine Costes, en poste depuis quinze ans « Ça a bien changé, on a perdu environ 20 % du personnel en dix ans alors que les sollicitations augmentent. Nos triages se sont donc agrandis et nous devons, en plus, remplir des missions supplémentaires depuis la charte de 2007. »

Le Parc national des Cévennes a perdu 18,8 % de ses effectifs, mais il n’est pas le seul touché. L’ensemble des parcs ont en effet perdu entre 15 % et 20 % de leurs effectifs en dix ans. À cela deux raisons. La première est la mise en place, en 2007, de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a entraîné le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Avec la RGPP, les transferts de postes sont devenus la règle

L’autre cause est la création de nouveaux parcs nationaux sans postes nouveaux, comme le Parc national des ­Calanques, créé en 2012, rappelle Frédéric Goulet, garde moniteur au Parc national des Écrins et cosecrétaire du Syndicat national de l’environnement-FSU. Pour les faire fonctionner, les transferts de postes sont devenus la règle d’un lieu à un autre.

C’est ce qui était prévu lors de la création, en 2019, du Parc national des forêts de Bourgogne. Mais, pour la première fois, les transferts n’ont pas été le seul dispositif actionné. Un licenciement est prévu. L’archiviste du centre de documentation et d’archives du Parc national des Cévennes voit son emploi menacé. « C’est ce qui a fait déborder notre colère : pour la première fois, une collègue en poste voit son contrat non renouvelé », confie Kisito Cendrier, géomaticien au PNC.

Des mesures insuffisantes

La riposte ne s’est pas fait attendre : à l’appel d’un regroupement syndical, des manifestations ont été organisées pour dénoncer la mise en danger des parcs nationaux. Le gouvernement a finalement pris la décision, fin février, de geler les suppressions dans les effectifs pour l’année 2021 et de créer 20 postes pour les parcs nationaux. Une bonne nouvelle, qui n’en est pas forcément une. À y regarder de plus près, cette annonce apparaît bancale et bien insuffisante, au regard des enjeux sociaux et environnementaux actuels.

« Il y a une publicité mensongère. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle, mais on ne sait pas comment vont être créés ces postes, alors que la loi de finances 2021 a déjà été votée et ne les prévoit pas », s’inquiète Patrick Saint-Léger, le secrétaire général du SNE-FSU, juste après avoir raccroché avec la secrétaire générale du ministère de la Transition écologique et solidaire. Celle-ci venait de lui confier qu’elle n’en savait rien.

« Ils font une annonce de création et, aujourd’hui, ils sont incapables de dire comment cela va se faire. C’est hallucinant ! » s’exclament les représentants du SNE-FSU, qui trouvent, quoi qu’il en soit, ces mesures insuffisantes : « Pour nous, on est sur du rattrapage, on ne nous donne pas des moyens, on évite d’en enlever. » La « bonne nouvelle » soulage encore moins les agents du PNC que les autres. En effet, « le parc est considéré comme étant en suremploi, on risque donc de perdre deux à trois postes malgré les annonces, dont celui de l’archiviste », déplore Kisito Cendrier.

Des missions essentielles

Pourtant, avec des prérogatives plus importantes et des moyens humains qui ne cessent de se réduire depuis dix ans, les gardes moniteurs du PNC ont bien du mal à trouver le temps de tout faire. Ils ont trois missions : effectuer un suivi de la faune et de la flore, mener des actions de sensibilisation auprès des écoles et de la population et, enfin, une mission de surveillance pour laquelle ils sont assermentés, afin de réprimer toute infraction en lien avec la nature.

« On n’arrive plus à faire tout le suivi d’espèces que l’on faisait avant. Quand je suis arrivée, on avait le temps de tourner dans notre secteur sans mission précise afin de bien connaître le terrain. Actuellement, le jour de la prospection, en fonction de la saison, on peut passer à côté de certaines choses », déplore Géraldine Costes, qui regrette également de ne plus disposer de temps pour sensibiliser la population.

« Le contact avec la population se perd »

Le Parc national des Cévennes est l’un des rares habités de façon permanente, la sensibilisation y est donc capitale afin que la population comprenne les enjeux du territoire au sein duquel elle vit. « Le contact avec la population se perd ; avant, je connaissais tout le monde, plus maintenant. Je suis presque gênée parce que les gens nous le font souvent remarquer », se désole la garde monitrice, persuadée qu’il est primordial d’instaurer une relation de confiance avec la population afin d’éviter des actions irréversibles sur l’environnement.

Émeric Sulmont, également garde moniteur au sein du parc depuis 2003, officie avec tout autant de passion sur une partie du mont Lozère. Mais il se sent parfois impuissant. Alors qu’il évolue sur un sentier en direction d’une forêt pour vérifier qu’une coupe d’arbre a bien été effectuée dans le respect de ses recommandations, il tombe sur une zone humide récemment brûlée par son propriétaire. La déception se lit sur son visage : « C’est un échec pour nous, l’agriculteur n’a pas conscience qu’il change la composition de cette zone. À chaque fois qu’on est face à ce type d’événement, on se dit qu’on n’a pas réussi à suffisamment partager. On a encore un travail colossal à faire sur le partage de nos enjeux. Ce n’est pas la réglementation qui va nous sauver, mais une sensibilisation de la population. » 

Désenchantement et surcharge de travail

Or, entre les suppressions de postes et un intérêt accru des touristes pour la nature, les gardes moniteurs restants se trouvent parfois dépassés. « Cet été, on n’avait clairement pas la capacité humaine pour gérer l’affluence, se souvient Émeric Sulmont. S’il y a deux agents en vacances en même temps et deux agents en constat pour une attaque de loup, il ne reste plus grand monde pour intervenir. On est aussi très justes pour faire face aux imprévus, comme la rave party qui a eu lieu sur le causse Méjean au mois d’août 2020. » Les agents se retrouvent alors obligés de refuser certaines demandes d’intervention dans des écoles ou d’organisation d’événements au sein du parc. Un véritable crève-cœur pour des passionnés de leur métier.

Au milieu d’une forêt paisible, non loin du mont Aigoual, Géraldine Costes exprime le mal-être qui touche le personnel du parc : « J’ai fait ce métier car c’était mon rêve ! Mais c’est vrai que, quand on le fait trop en courant, ça décourage. » Ce mal-être, Samy Jendoubi, garde moniteur au sein du Parc national des Écrins, le remarque également : « Il y a eu trois démissions l’an dernier, car il y a une perte de sens et une surcharge de travail. La balance est tellement déséquilibrée que certains finissent par partir. »

Précarisation constante

Alors que les enjeux environnementaux sont plus importants que jamais, le gouvernement précarise des emplois de terrain, pourtant indispensables à la protection de ces espaces. Entre un concours de recrutements inexistants de 2008 à 2018 et des conditions de travail de plus en plus difficiles, certains postes de garde moniteur sont désormais vacants. Ils sont alors occupés par des contractuels, qui n’ont pas les mêmes compétences : ils ne peuvent, par exemple, pas réaliser le travail de police d’un garde moniteur.

Sur douze postes de garde moniteur, deux sont à l’heure actuelle occupés par des contractuels au sein du PNC. « On précarise pas mal de gens qui travaillent dans le parc. Les agents contractuels ont une pression de dingue. Ils n’osent rien refuser et sont très stressés car ils ont peur de ne pas être renouvelés. Le rapport au travail n’est pas le même », rapporte Émeric Sulmont. Pourtant, le cadre de travail fait rêver sur ce massif parsemé de chaos granitiques.

Mais la beauté des lieux et la passion des agents ne sauraient suffire à surmonter le lent désengagement de l’État. « Actuellement, tout repose beaucoup trop sur la motivation du personnel, qui va faire beaucoup plus d’heures que prévu. Ce n’est pas normal, cela ne peut pas durer comme ça ! » fulmine Sandrine Descaves, cosecrétaire de la section SNE-FSU du PNC. Entre les suppressions de postes et la précarisation des emplois restants, face à des prérogatives grandissantes et une fréquentation touristique qui ne cesse d’augmenter dans les parcs nationaux, les syndiqués du SNE-FSU commencent à se demander à quoi « sert le ministère de l’Écologie ».

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6 avril 2021 2 06 /04 /avril /2021 15:46

Contre la « minorité sociale » à laquelle conduit le système actuel pour les 18-24 ans, le rapport remis à la demande du gouvernement par le comité d’experts présidé par Louis Schweitzer, propose « d’expérimenter sans délai » un « revenu de base » jeunes. De son côté, la sociologue Dominique Méda défend dans la tribune ci-dessous la proposition d’une refonte efficace de la fiscalité qui permette de faire avancer le projet de revenu universel, remède à la fragilisation des classes populaires. Chronique publiée le 3 avril 2021 dans Le Monde. Lire aussi Transition écologique en chantier, Le revenu maximum, contre les inégalitésUn prélude à la reconversion écologique de nos sociétés et Pour un revenu de base individuel, universel et libre d’obligation.

Street art rebellion, manifestation du 28 mars 2021 (Photo Pierre Stoeber)

Street art rebellion, manifestation du 28 mars 2021 (Photo Pierre Stoeber)

Au moment où un troisième confinement vient d’être annoncé par le président de la République, il est essentiel de se plonger dans les analyses qui tirent les enseignements du premier. Dans « Covid-19, regards croisés sur la crise », plus de 50 chercheurs de toutes disciplines reviennent sur les enjeux majeurs de cette période, en particulier sur les douloureux arbitrages entre pertes sanitaires et pertes économiques auxquels les pouvoirs publics ont été confrontés. « L’explosion des inégalités. Classes, genres et générations face à la crise sanitaire » présente, quant à lui, les résultats de la première grande enquête réalisée auprès des Français confinés en documentant les fractures que la pandémie a aggravées.

En résumé : les classes populaires, déjà fragilisées, sont celles qui ont payé le plus lourd tribut à la crise en continuant à travailler sans moyens de protection ou en perdant leur emploi et en connaissant pour la plupart de graves difficultés financières, pendant que les professions les mieux protégées par leur statut d’emploi pouvaient continuer à télétravailler et à épargner. Dans certains territoires, la forte densité, l’exiguïté des logements et la fréquence des comorbidités ont démultiplié cet écart. Les femmes ont subi une régression sans précédent, en perdant leur emploi plus que les hommes et en supportant la plus grande partie de l’augmentation des charges domestiques et familiales. Les jeunes ont connu d’énormes difficultés, les uns pour entrer dans l’emploi, les autres pour continuer leurs études, la plupart ayant eu à faire face à une aggravation de leur situation financière.

Failles de l’État-providence

La pandémie a éclaté dans un contexte social dégradé où les inégalités de conditions de vie, de travail, d’accès aux soins et à la protection sociale étaient exacerbées depuis des décennies. Elle a achevé de rendre éclatantes les failles de notre État-providence et constitue d’une certaine manière une occasion unique d’engager une réforme structurelle de celui-ci en faveur des plus modestes.

Le remède à la fragilisation des classes populaires, notamment à celle de leur emploi, est connu. Concernant les travailleurs dits de la « deuxième ligne », les éléments que Christine Erhel et Sophie Moreau-Follenfant viennent de rassembler mettent en évidence l’ampleur de la sous-rémunération chronique, des mauvaises conditions de travail et de l’insatisfaction salariale de ces presque cinq millions de personnes. Ce diagnostic appelle la mise en place non pas seulement d’une prime, mais bien d’une véritable révision des classifications et des grilles salariales, rehaussant de façon permanente les rémunérations de ces personnes à la hauteur de leur contribution déterminante à la vie sociale, de même qu’une réflexion approfondie sur les fondements de la hiérarchie des salaires. Une politique visant à l’amélioration de la qualité de l’emploi ne pourra qu’être bénéfique aux femmes et aux jeunes dans la mesure où c’est le caractère plus fragile du statut d’emploi de ces derniers qui a entraîné leur plus grande vulnérabilité à la crise.

Élégance et réalisme

Mais ces mesures ne suffiront pas. Le lourd tribut payé par les jeunes montre qu’il nous faut sortir du bricolage et moderniser réellement notre État-providence. Plusieurs solutions sont en lice : l’ouverture du RSA aux jeunes dès 18 ans (évidemment non exclusive d’un fort accompagnement vers l’emploi), soutenue légitimement par de nombreuses organisations ; le revenu minimum unique proposé par Louis Maurin et Noam Leandri, au nom de l’Observatoire des inégalités, qui permettrait de sortir l’ensemble de la population française de la pauvreté ; l’idée, extrêmement ambitieuse, soutenue par l’économiste Pierre-Alain Muet dans Un impôt juste, c’est possible ! (Seuil, 2018), qui présente le tour de force de conjuguer bouclage de la protection sociale grâce au versement d’un revenu universel et refonte d’une fiscalité devenue inefficace et injuste.

L’élégance et le caractère réaliste de la proposition viennent du fait que le revenu universel n’est versé (en totalité ou en partie) que lorsque les revenus d’activité – connus en temps réel – ne dépassent pas un certain montant. Quand le contribuable n’a aucun revenu, le revenu disponible est égal au revenu universel. Quand les revenus d’activité augmentent, le revenu disponible augmente au-delà du revenu universel, mais moins que du montant initial en raison de l’augmentation de l’impôt sur le revenu. Mais, comme le précise Pierre-Alain Muet, ce revenu universel n’est pas une prestation qu’il faut aller demander (quand on connaît son existence) en s’engageant dans des démarches compliquées.

Tout le monde – y compris les jeunes dès 18 ans – a droit à ce revenu universel, mais ne le touchent que ceux dont les revenus sont insuffisants. En résumé : tout le monde reçoit (en droit) le revenu universel ; tout le monde paie un impôt sur le revenu qui commence au premier euro de revenu d’activité gagné ; seul le solde entre le revenu universel et l’impôt sur le revenu est versé (en fait) ou collecté tous les mois dans le cadre du prélèvement à la source. L’adoption de cette proposition nous permettrait de sortir par le haut des débats trop confus qui ont entouré depuis des années l’idée généreuse de revenu universel. Elle présente d’innombrables mérites, dont celui d’enfin traiter dignement les jeunes. En faire un projet central pour la prochaine élection présidentielle redonnerait aux citoyens l’espoir dont ils ont tant besoin.

Dominique Méda est professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine

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2 avril 2021 5 02 /04 /avril /2021 15:04

Comment rendre le numérique compatible avec la trajectoire 2°C ? Quelles questions instruire sérieusement et quels acteurs mobiliser pour un système numérique résilient ? Comment relancer le débat sur la 5G pour construire une gouvernance numérique adaptée et efficace ? La nouvelle note d'analyse sur l’impact environnemental du numérique et le déploiement de la 5G, publiée par The Shift Project mardi 30 mars, se propose notamment de mettre à jour les scénarios prospectifs des impacts du numérique mondial établis en 2018, et de formuler des propositions pour le déploiement d’une « 5G raisonnée », par opposition à une 5G de masse. D’après The Shift Project le 30 mars 2021. Lire aussi Pour un moratoire sur le déploiement de la 5G, Peut-on s’opposer à l’informatisation du monde ?  et Un moment d’accélération de la virtualisation du monde.

IMPACT ENVIRONNEMENTAL DU NUMÉRIQUE : TENDANCES À 5 ANS ET GOUVERNANCE DE LA 5G - Note d'analyse de The Shift Projet parue le 30 mars 2021

IMPACT ENVIRONNEMENTAL DU NUMÉRIQUE : TENDANCES À 5 ANS ET GOUVERNANCE DE LA 5G - Note d'analyse de The Shift Projet parue le 30 mars 2021

Contexte et Constats

Depuis 2018, les travaux de The Shift Project sur les impacts environnementaux du numérique nous ont permis de définir et d’affiner notre vision du concept de sobriété numérique. Les constats ainsi établis ont contribué, notamment grâce à la production de chiffres, à une prise de conscience de l’importance de l’empreinte environnementale du numérique, de son augmentation préoccupante et des raisons systémiques qui conduisent à cette situation. Depuis, les enchères sur la 5G ont eu lieu, et les premiers déploiements ont été lancés en France. Parallèlement, la crise sanitaire nous a rappelé avec force que les technologies numériques font partie intégrante des services essentiels de notre société.

Le contexte du déploiement en cours de la 5G sur nos territoires constitue une véritable occasion de réfléchir ensemble à une trajectoire compatible avec les contraintes énergie-climat pour nos usages numériques et à l’adaptation de nos mécanismes de prises de décisions face à l’ampleur de nos choix technologiques et de leurs implications.
Les débats sur nos choix technologiques ne concernent pas une adhésion ou non à la technologie en tant que telle. Pour qu’ils soient bénéfiques, les débats doivent questionner ce qui motive les directions que nous donnons à notre système connecté, ce qui les justifient et les actions à mettre en place à l’échelle de la société. Revenir sur la cristallisation du débat concernant la5G va permettre de démontrer la nécessité de construire une discussion collective
plus large et plus efficace sur nos choix technologiques, autour d’une gouvernance concertée au service d’objectifs explicites.

Sans réflexion de cette nature, nos politiques et stratégies de déploiement des outils numériques resteront les opportunités gâchées d’une transition numérique qui, bien qu’omniprésente, échouera à contribuer à relever les défis physiques et sociétaux de ce siècle.

Objectifs clés de la note

  • Consolider le travail de chiffrage de l’impact environnemental mondial du numérique via une mise à jour de nos scénarios de 2018 ;
  • Utiliser le déploiement de la 5G comme illustration grandeur nature des questions à poser explicitement pour dimensionner et piloter un système numérique pertinent basé sur des choix technologiques réfléchis et raisonnés ;
  • Comprendre en quoi la cristallisation du débat sur la 5G démontre la nécessité de construire une discussion collective plus large et plus efficace sur nos modes de vie et nos choix technologiques pour aboutir à une gouvernance du numérique compatible avec la contrainte climatique et énergétique.

IMPACT ENVIRONNEMENTAL DU NUMÉRIQUE : TENDANCES À 5 ANS ET GOUVERNANCE DE LA 5G - Note de synthèse (mars 2021)

Pour rendre le système numérique européen résilient : il nous faut un plan

Sur la base de ces constats, nous formulons ainsi trois propositions majeures afin de rendre notre système numérique résilient :

  • Bâtir une nouvelle gouvernance du numérique
    • Au niveau national, initier et harmoniser les objectifs de décarbonation et les outils d’évaluation et suivis quantitatifs.
    • Au niveau des territoires, donner aux élus les moyens d’organiser la concertation de la
      société civile pour déterminer les usages prioritaires et modalités de déploiement.
    • Au niveau européen, développer des organes de gouvernance cohérents et d’une ampleur adaptée aux infrastructures de l’Union, à ses usages et ses acteurs économiques.
  • Inventer les nouveaux modèles économiques 
    • Sortir de la rentabilisation des services par les volumes de données massifs.
    • Rentabiliser les usages construits sur la modularité, l’après-première vie et l’allongement de la durée de vie des terminaux, matériels et équipements réseaux.
  • Développer les outils d’un pilotage du numérique
    • Fixer des objectifs quantifiés et normatifs pour le numérique, dont l’atteinte assure la comptabilité avec la trajectoire 2°C.
    • Développer des outils robustes d’évaluation de l’impact énergie et carbone.
    • Développer les outils de suivi permettant de mesurer les effets de la gouvernance numérique et de l’ajuster pour atteindre les objectifs.

 

En résumé

Quels usages pour un numérique qui ne dérègle pas le climat?
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16 mars 2021 2 16 /03 /mars /2021 09:00

Renégocier le Ceta, mettre fin aux tribunaux d’arbitrage, subordonner les règles des échanges mondiaux à l’urgence climatique : autant de préconisations de la Convention citoyenne pour le climat qui ont été enterrées. Une tribune de Maxime Combes Économiste, chargé des questions « commerce-relocalisation » à l’Aitec publiée le 10 mars 2021 par Politis. Lire aussi Les velléités écologistes de Macron notées 3,3/10 par la Convention citoyenne pour le climat, Ne pas signer le Ceta au nom de l’accord de Paris... et Rétablir la justice fiscale en taxant les entreprises les plus polluantes.

Somnolence par Celçuk, d'après Nadar.

Somnolence par Celçuk, d'après Nadar.

Proposée par la Convention citoyenne pour le climat, la renégociation du Ceta, cet accord de libéralisation du commerce et de l’investissement entre l’Union européenne (UE) et le Canada, a été immédiatement écartée par Emmanuel Macron. Le 29 juin 2020, dans les jardins de l’Élysée, le Président affirmait retenir 146 propositions sur les 149 soumises par la convention citoyenne, tout en confirmant que le Ceta continuerait à s’appliquer. L’une des 146 propositions officiellement retenues était donc d’emblée enterrée. Le ton était donné.

En écartant l’une des mesures phares de la convention, à application et effet immédiats, Emmanuel Macron aggravait la situation abracadabrantesque qui entoure le Ceta. Voici en effet un traité qui s’applique très largement depuis le 21 septembre 2017, alors que le processus de ratification n’est pas arrivé à son terme – ni en France ni au sein de l’UE. Voté par l’Assemblée nationale en juillet 2019 par une courte majorité, le texte avait d’ailleurs été présenté en « procédure accélérée ». Près de deux ans plus tard, de report en silence et de silence en report, le Ceta n’a toujours pas été présenté au Sénat.

Le Ceta s’applique donc de façon « provisoire » depuis trois ans et demi. Pourtant, le constat est clairement établi : « Le climat est le grand absent du Ceta », a statué, dès septembre 2017, la commission d’experts nommée pour évaluer cet accord. En rejetant la proposition de la Convention citoyenne, Emmanuel Macron entérine ainsi son refus de remettre en cause la mondialisation des échanges et de faire de la lutte contre le réchauffement climatique un principe supérieur à son expansion. Et ce au moment même où la pandémie de Covid-19 a mis en exergue les failles de cette même mondialisation néolibérale et productiviste.

Ce n’est pas la seule mesure de la Convention citoyenne portant sur le commerce international qui a été enterrée. La proposition 4.1.2 visait à « mettre fin aux tribunaux d’arbitrage » qui permettent à des entreprises d’attaquer les pouvoirs publics, notamment lorsque ces derniers prennent des mesures en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Dernier cas d’école en date : la multinationale allemande RWE poursuit les Pays-Bas et réclame 1,4 milliard d’euros de compensation à la suite de leur décision de sortir du charbon d’ici à 2030 (1). Pour cela, RWE utilise le méconnu traité sur la charte de l’énergie (TCE). Négocié, signé et ratifié dans les années 1990, il visait à protéger les investissements des énergéticiens européens dans les pays de l’ex-URSS, jugés insuffisamment sûrs sur le plan juridique. Aujourd’hui, il sert surtout aux multinationales européennes pour poursuivre d’autres pays européens lorsque ceux-ci prennent des mesures climatiques qui contreviennent à leurs profits actuels ou espérés. De fait, le TCE retarde, renchérit ou empêche la transition énergétique. Il protège les pollueurs (2).

Les associations alertent là-dessus depuis des années. Avec un certain succès puisque des centaines de parlementaires et de scientifiques appellent désormais l’UE et ses États membres à désarmer ce traité. Un million de personnes en Europe ont même signé une pétition en ce sens en à peine quinze jours (et vous ?) (3). Mais la Commission européenne préfère viser une impossible modernisation (4). La France se limite pour l’instant à demander à Bruxelles d’envisager les conditions d’un éventuel retrait coordonné des 27 États membres. La proposition visant à supprimer ces tribunaux d’arbitrage ne figure d’ailleurs ni dans la liste des propositions de la France pour réviser la politique commerciale européenne ni dans celles retenues par la Commission européenne. Plus généralement, tout le monde parle de relocalisation, mais ni Paris ni Bruxelles n’ont réellement pris la mesure des transformations à opérer pour que les règles du commerce international ne soient plus des obstacles en matière de transition énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique.

Les batailles en cours, d’un côté pour la sortie du TCE, de l’autre pour bloquer l’accord UE-Mercosur et œuvrer en faveur de la relocalisation écologique et solidaire, notamment en proposant aux collectivités territoriales de s’engager à ce sujet (5), sont donc décisives : ne laissons pas passer cette occasion.

(1) « Pays-Bas. La sortie du charbon attaquée par la multinationale de l’énergie RWE via le Traité sur la charte de l’énergie », 8 février 2021, www.collectifstoptafta.org

(2) « L’accord qui protège les pollueurs », Politis, 20 novembre 2019.

(3) Pétition « L’UE et la France doivent sortir du traité sur la charte de l’énergie, ce traité qui protège les pollueurs », à signer sur www.collectifstoptafta.org

(4) Lire notre décryptage, « Analyse des propositions de Bruxelles sur le Traité sur la charte de l’énergie », 2 mars 2021, aitec.reseau-ipam.org

(5) « Stop accord UE-Mercosur : demandons aux collectivités territoriales de s’engager », 6 octobre 2020, www.collectifstoptafta.org

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15 mars 2021 1 15 /03 /mars /2021 09:39

La sociologue Dominique Méda plaide pour « un vaste programme décennal de rénovation des bâtiments publics et privés ». Chronique publiée le 27 février 2021 dans Le Monde. Lire aussi Un prélude à la reconversion écologique de nos sociétés.

Transition écologique en chantier

Pendant que les commissions compétentes de l’Assemblée nationale s’apprêtent à discuter des mesures de la loi Climat et résilience – jugées unanimement insuffisantes –, les alertes des institutions les plus sérieuses se succèdent.

Le 11 janvier, l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) publiait une note intitulée « Croissance sans croissance économique », qui rappelait les trois points suivants : la « grande accélération » actuelle de la perte de biodiversité, du changement climatique, de la pollution et de la perte de capital naturel est étroitement liée à la croissance économique ; le découplage entre les premiers et la seconde est probablement impossible ; la décroissance ou la postcroissance sont des alternatives à envisager sérieusement.

Le 2 février, l’économiste Partha Dasgupta présentait, devant la Royal Academy britannique, un rapport consacré à l’évolution de la biodiversité, dans lequel il constatait que l’humanité se trouve à un véritable tournant et appelait à « réencastrer l’économie dans la biosphère ». Quelques jours plus tard, le directeur de l’AEE, Hans Bruyninckx, employait exactement ces mêmes termes lors des journées consacrées par l’Institut syndical européen à la nécessité d’un nouveau contrat social-écologique, réunissant des dizaines de chercheurs, partenaires sociaux et responsables politiques. L’ensemble de ces travaux prenait d’une certaine façon acte des résultats scientifiques mettant en évidence que la croissance verte est un mythe et que nous devons reconstruire nos économies et apprendre à produire autrement (« Is Green Growth Possible ? », Jason Hickel & Giorgos Kallis, New Political Economy, 17 avril 2019).

Changement de cap

Renoncer à ce mythe devrait nous permettre de gagner un temps précieux et d’organiser dès maintenant le changement de cap et la bifurcation nécessaires. Car nous savons ce qu’il faut faire : nous devons investir immédiatement, massivement et sans relâche dans la reconversion écologique de notre économie – la vraie, la matérielle – de manière à continuer à satisfaire nos besoins sociaux dans des limites environnementales strictes.

Un tel investissement, qui accroîtra certes notre endettement mais permettra de transmettre aux générations futures un monde habitable, est non seulement une exigence, mais c’est aussi une bonne nouvelle. Car nous savons que les secteurs dans lesquels il nous faut investir sont créateurs d’emplois et même que plus nous investirons, plus nous aurons d’emplois demain. Il nous faut donc saisir pleinement l’occasion qui nous est aujourd’hui offerte de résoudre en partie la très grave crise de l’emploi dans laquelle nos pays sont – et vont être – plongés.

Les études qui ont été récemment consacrées à ces questions mettent en effet en évidence que de très nombreux emplois pourraient être créés grâce à la reconstruction et à la décarbonation de nos économies. L’étude de l’Ademe réalisée à l’occasion de la publication du rapport annuel 2020 du Haut Conseil pour le climat indique ainsi que 600 000 emplois pourraient être créés à l’horizon 2030, notamment dans le bâtiment, les transports et l’industrie. Selon celle du WWF, ce sont même près de 2 millions d’emplois qui pourraient être déployés dans les transports, le verdissement des processus industriels ou la rénovation thermique des bâtiments, selon un scénario dit de « relance verte ».

Politique ambitieuse

Concernant la rénovation thermique des bâtiments, le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale qui vient d’être rendu est très clair : il indique que pour réussir l’ambitieuse politique de rénovation énergétique dont nous avons besoin, il faudrait « plusieurs centaines de milliers de professionnels en plus », alors que, « en dix ans, le secteur a perdu pratiquement 250 000 emplois et, rien qu’en 2019, 140 000 départs en retraite ont été dénombrés dans le secteur. On constate parallèlement un fort recours au travail détaché et à la main-d’œuvre étrangère ». Il y a donc dans ce secteur un énorme gisement d’emplois non délocalisables et qui recouvrent une très grande diversité de compétences.

Non seulement un vaste programme décennal de rénovation des bâtiments publics et privés générerait de l’emploi, des baisses de facture et une amélioration du confort pour les habitants des 4,8 millions de passoires énergétiques, mais il serait sans doute aussi l’occasion de redéfinir une véritable politique d’aménagement du territoire. Faut-il rénover tels quels les bâtiments existants ou en profiter pour repenser nos métropoles, redessiner nos villes moyennes et nos campagnes ? Comment articuler nos objectifs de diminution de la consommation d’énergie avec notre souci de rapprocher emplois et lieux d’habitation pour éviter des déplacements devenus insupportables et prendre en compte le développement du télétravail ? Doit-on profiter de cette dynamique pour reconstruire de fond en comble nos villes, engager un processus de démétropolisation, repenser nos politiques industrielles et nos politiques de relocalisation des activités ? Autant de questions qui doivent faire l’objet d’une vaste réflexion, impliquant les territoires, les partenaires sociaux et l’ensemble des administrations, bref d’un véritable plan.

Il ne s’agit évidemment pas d’imposer, à partir des bureaux parisiens, un nouvel aménagement du territoire français, mais bien de tenter de coordonner ces différentes dimensions trop peu souvent articulées au niveau central, mais aussi dans les territoires où les schémas sectoriels se juxtaposent sans se structurer. C’est vraiment d’un plan décennal ambitieux dont nous avons besoin pour mettre en route ce chantier titanesque mais enthousiasmant.

Dominique Méda est professeure de sociologie, directrice de l’Irisso (université Paris-Dauphine-PSL)

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15 février 2021 1 15 /02 /février /2021 17:10

Dans Où suis-je - leçons du confinement à l’usage des terrestres, publié fin janvier 2021, Bruno Latour explique comment, selon lui, l’épreuve du confinement, qui, en même temps qu’une expérience planétaire, est la révélation de nombreuses injustices, et nous oblige à prendre la mesure de la crise écologique et de ce que signifie aujourd’hui vivre « sur Terre ». Entretien par Nicolas Truong publié le 12 février 2021 dans Le Monde. Voir aussi https://ouatterrir.fr/. Lire aussi Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise.

Où suis-je - leçons du confinement à l’usage des terrestres (La Découverte)

Où suis-je - leçons du confinement à l’usage des terrestres (La Découverte)

Sociologue, professeur émérite associé au médialab de Sciences Po, Bruno Latour publie Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres (La Découverte, 186 pages, 15 euros), une métaphysique du confinement qui invite à rompre avec le monde d’avant. Au travers ses ouvrages traduits dans le monde entier, ses expériences théâtrales et expositions d’art contemporain, Bruno Latour cherche à analyser le « nouveau régime climatique », et propose des pistes pour vivre face à « Gaïa », cette Terre et planète vivante menacée par la crise écologique, qui inspirent de nombreux auteurs, tels le philosophe Baptiste Morizot ou l’anthropologue Nastassja Martin (Le cri de Gaïa. Penser la Terre avec Bruno Latour, sous la direction de Frédérique Aït-Touati et Emanuele Coccia, La Découverte, 222 pages, 19 euros).

De quoi le confinement est-il la répétition générale ?

Plus il dure, plus le confinement me paraît révélateur, comme on le dit, « du monde d’après ». Littéralement. Quand on en sortira, on ne sera plus dans le « même monde », c’est du moins mon hypothèse. En effet, la pandémie est bel et bien encastrée dans la crise plus ancienne, plus longue, plus définitive de la situation écologique. Vous me direz : « On le savait ». Oui, mais il nous manquait l’expérience corporelle de cet enchaînement. Qu’est-ce que ça veut dire de changer de lieu ? Un lieu qui n’est plus ouvert, infini, mais justement limité, confiné et où il faudra vivre dorénavant. Donc, oui, pour moi le confinement est une expérience de déplacement au sens propre, de changement de place. Et c’est bel et bien une répétition générale, en espérant que cela se passera mieux la prochaine fois !

Vous passez de la question « où atterrir ? » à la question « où suis-je ? ». Pour quelle raison ?

Justement à cause de ce changement de localisation. Je ne me demande pas « qui » je suis, mais « où » nous nous retrouvons. Et je repère ce déplacement dans les sciences de la Terre, ou plutôt dans une nouvelle façon de lier les sciences du système Terre à la condition politique imposée par le confinement, médical d’abord, puis par le confinement écologique. Et là, cela devient passionnant, car on peut rendre beaucoup plus précise la différence entre vivre « sur Terre » au sens que l’on donnait à cette notion au XXe siècle – une Terre dans le cosmos infini – et ce que veut dire vivre « sur Terre », dans ce que mes amis scientifiques appellent la « zone critique », la mince couche modifiée par les vivants au cours de milliards d’années, et dans laquelle nous nous trouvons confinés…

Pourquoi, de la répression policière du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, après le « J’étouffe ! » et la mort de George Floyd, au nouveau régime climatique que vous définissez, la crise actuelle est-elle respiratoire ?
Parce que nous ressentons tous, je crois, cette horrible impression de limite, de confinement, d’obligation, comme si toutes nos habitudes de liberté, de mouvement, d’émancipation, de respiration à pleins poumons étaient littéralement obstruées. J’essaie d’enchaîner, d’encastrer, de saisir l’occasion du confinement pour rendre sensible ce que veut dire dépendre du climat, d’une certaine température du système Terre, dont nous sommes tous, à des degrés divers devenus responsables. Je reconnais que c’est assez bizarre, mais je cherche à tirer une leçon positive du confinement : des humains dans la zone critique, avec la question du climat et de la biodiversité sur le dos, ne respirent pas pareil que ceux du XXe siècle. C’est en ce sens que je parle de métamorphose. C’est très physique.

Bruno Latour, lors d’un atelier "Où atterrir ?" qu’il codirige, ici à Saint-Junien (Haute-Vienne). © consortium où atterrir

Bruno Latour, lors d’un atelier "Où atterrir ?" qu’il codirige, ici à Saint-Junien (Haute-Vienne). © consortium où atterrir

Comment pouvez-vous dire que l’économie a cessé d’être l’horizon indépassable de notre temps alors que le gouvernement la soutient, « quoi qu’il en coûte », en attendant la « reprise » ?

Mais parce que tout ce qu’on nous disait il y a un an sur les « lois de l’économie », le budget, l’obsolescence programmée du rôle des États, a été suspendu par la crise immense dans laquelle tous les pays sont plongés. Oui, on parle de « reprise », mais cela sonne comme une incantation, pas comme un projet mobilisateur.

Tout le monde sent bien que le projet mobilisateur s’est décalé, qu’il porte sur autre chose, sur une autre définition de ce que veut dire subsister dans ce nouveau cadre, celui du confinement. Cela pose une tout autre question : comment maintenir les conditions d’habitabilité de la planète ? J’ai l’impression qu’il n’y a rien, dans l’Économie avec un grand « E », dans l’idéologie de l’Homo œconomicus, qui permette de poser ces questions. C’est en ce sens que nous sommes en train de nous « déséconomiser ».

Pourquoi la question « de qui est-ce que je dépends pour subsister ? » est-elle la plus pertinente pour repenser notre rapport au territoire ?

Mais justement à cause de cette déséconomisation. S’il est vrai, comme le montrent ces nouvelles sciences de la Terre, que les vivants ont construit artificiellement leur propre environnement, à l’intérieur duquel nous sommes confinés, il faut nous intéresser à ce dont nous dépendons ; le Covid-19 offre un cas vraiment admirable et douloureux de dépendance. Mais cela est vrai aussi de la température globale, comme de la biodiversité. Donc, d’un seul coup, la question n’est plus de savoir si nous avons assez de ressources à exploiter pour continuer comme avant, mais « comment participer au maintien de l’habitabilité du territoire dont nous dépendons ? ». Cela change complètement le rapport au sol. C’est cela « atterrir ».

Pourquoi l’extension de Gaïa, la « Terre-mère », nous oblige-t-elle à repenser nos catégories politiques, comme notre rapport aux frontières et à l’identité ?

Il faudrait s’entendre d’abord sur Gaïa, une notion qui continue à effrayer, mais que je continue à pousser parce qu’elle résume justement le changement de « lieu » que nous ressentons avec la pandémie. Gaïa, c’est le nom que l’on peut donner à la suite des vivants qui, depuis les premiers organismes, ont créé à partir de conditions physiques très peu favorables à la vie un milieu de plus en plus habitable au fur et à mesure des innovations successives dans l’histoire longue de la Terre. C’est le meilleur moyen de préciser où l’on est. Gaïa ce n’est pas la nature, le cosmos dans son ensemble. C’est la minuscule aventure, la suite des événements qui ont modifié la planète Terre sur quelques kilomètres d’épaisseur. Et la seule chose dont les vivants, humains compris, aient l’expérience corporelle.

Si vous comprenez cette notion – et j’ai beaucoup travaillé avec d’autres pour la rendre scientifiquement et philosophiquement précise –, le changement de politique suit inévitablement. Pour exercer quelque forme politique que ce soit, il faut une Terre, un lieu, un espace. La meilleure preuve que la politique « sous Gaïa » est nouvelle c’est cette étonnante contrainte qui pèse sur toutes les décisions individuelles et collectives, de rester « sous les deux degrés » des accords climatiques. C’est cela que j’appelle « le nouveau régime climatique ». C’est bel et bien un nouveau régime juridique, politique, affectif puisque l’on vit « ailleurs » littéralement, dans la zone critique, « sous Gaïa », confinés dans les zones d’habitabilité explorées par les vivants. L’adjectif « terrestre » ne veut rien dire d’autre.

les analystes-cartographes assurent le suivi et décrivent les données rassemblées, lors d'un atelier Où atterrir ? © consortium où atterrir

les analystes-cartographes assurent le suivi et décrivent les données rassemblées, lors d'un atelier Où atterrir ? © consortium où atterrir

Le conflit entre ceux que vous nommez les « extracteurs » et les « ravaudeurs » aurait remplacé celui existant entre les bourgeois et les prolétaires, écrivez-vous. Faut-il un nouveau manifeste, créer une internationale des terrestres ?

Je ne dirais pas qu’il le remplace, mais il s’y insère, et complique et avive tous les autres conflits. Il est clair que la pandémie actuelle, que je prends comme exemple typique de ce qui vient, est à la fois une expérience planétaire et la révélation d’une multitude d’injustices – dans l’exposition à la maladie, dans l’accès aux soins, dans l’accès aux vaccins. Donc on retrouve toutes les questions classiques des conflits bien repérés par les luttes intra-humaines, mais il faut y ajouter tous les autres, tous les conflits extra-humains en plus de tous ceux révélés par la pensée décoloniale. Ce que j’appelle les conflits de classes géo-sociales qui se multiplient sur tous les sujets de subsistance et d’accès au sol. Donc une « internationale », c’est un peu restreint. C’est à la fois planétaire et complètement local. Nous n’avons pas encore la bonne métrique pour repérer tous les conflits dans lesquels les terrestres sont impliqués – attention l’adjectif « terrestre » ne précise pas le genre ou l’espèce ! En tout cas, l’idée d’harmonie apportée par la « prise en compte de la nature » a clairement disparu.

De l’encyclique du pape François aux travaux de l’économiste Gaël Giraud, en passant par certaines mairies conquises par les Verts, un christianisme écologique est en train de s’investir significativement dans une politique du vivant. Pour quelles raisons ?

En effet, j’avais vraiment l’impression d’un désert. Mais il faut reconnaître que Laudato si’ [l’encyclique du pape François en 2015] a complètement rebattu les cartes avec cette injonction, vraiment prophétique, d’entendre le « cri de la Terre et le cri des pauvres » ! C’est quand même plus costaud que mon idée de classes géosociales… Ça touche beaucoup plus loin, le problème est posé justement en termes de changement de « lieu ». Que faites-vous sur Terre ? Quelle Terre habitez-vous ? Je comprends que cela résonne beaucoup plus à des oreilles chrétiennes que les injonctions à « sauver la nature », qui reste toujours extérieure malgré tout. Mais cela ne touche que la surface, la grande majorité des catholiques, me semble-t-il, croient toujours qu’il faut plutôt se préparer à aller au ciel !

Quels sont les processus politiques que vous mettez en place avec votre projet Où atterrir ? à Saint-Junien, La Châtre ou Ris-Orangis ? Et cela signifie-t-il qu’un mouvement terrestre multiforme est en train de s’implanter ?

Je ne sais pas penser sans un terrain empirique. Depuis quatre ans, je me suis dit qu’on devrait pouvoir intéresser des gens, que la question écologique titille mais dont ils ne savent pas forcément quoi faire, à définir autrement leur territoire. Ce sont des ateliers collectifs d’autodescription. La question est : « De quoi dépendez-vous pour exister ? » Et ensuite, comment liez-vous vos descriptions pour rendre ce territoire vécu compréhensible par ceux, dans l’appareil d’Etat ou parmi les élus, qui sont supposés vous aider à maintenir ces conditions d’habitabilité. C’est un moyen de reconstruire l’écologie politique sans jamais parler d’écologie ! Ce qui me passionne, c’est le rôle des arts dans la reprise de ces questions de lieu, de sol et d’habitat. Comment scénarise-t-on, collectivement, le changement de lieu ? C’est cela, pour moi, tirer parti du confinement. Mais avec le couvre-feu, c’est un cauchemar à organiser… Je ne sais pas si ces procédures vont se répandre. Ce qui est clair, c’est que les initiatives pullulent et que nous essayons de nous en inspirer.

Participant·e·s à un atelier Où atterrir ? © consortium où atterrir

Participant·e·s à un atelier Où atterrir ? © consortium où atterrir

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11 février 2021 4 11 /02 /février /2021 10:05

Oui, répond l’urbaniste Jacqueline Lorthiois : au moment où le trafic aérien et l’immobilier de bureau s’effondrent, il est absurde de s’entêter à urbaniser le Triangle de Gonesse (Val-d’Oise), en détruisant au passage d’excellentes terres agricoles. Tribune de Jacqueline Lorthiois, urbaniste, parue le 11 février sur L’Obs. Lire aussi Une nouvelle ZAD près de chez vous, et par la même auteure, le bétisier d'Europacity, en plusieurs épisodes Le bêtisier d'Europacity, 5 : à quoi bon embellir l'enveloppe, si elle est vide ? ...

Le triangle, lieu de la future gare du Grand Paris Express à Gonesse !

Le triangle, lieu de la future gare du Grand Paris Express à Gonesse !

Dimanche, une ZAD (zone à défendre) a été créée sur le Triangle de Gonesse, vaste zone agricole située à l’ouest de Roissy, dans le Val-d’Oise. Les zadistes s’opposent à la construction d’une gare en plein champ, ne desservant aucune habitation et dont la seule utilité sera d’amorcer l’urbanisation de ces terres pourtant connues pour être particulièrement fertiles.

Devant l’entêtement des élus locaux et de la Société du Grand Paris (SGP), face aux atermoiements de la justice et au silence du gouvernement, un certain nombre de militants ont décidé d’occuper le site. Et voici pourquoi, selon nous, ils ont raison de vouloir stopper la stratégie d’aménagement à l’œuvre sur ce territoire.

1. L’obsession des grands aménagements

Le bassin de Roissy est un cas d’école. Depuis les années 1970, les acteurs locaux poursuivent l’objectif obsessionnel d’y attirer force activités et équipements, promettant des retombées d’emplois et de richesses économiques mirifiques. Encore aujourd’hui, sont projetés deux « grands projets inutiles ». D’une part, sur le Triangle de Gonesse, la création d’une zone d’aménagement concertée (ZAC) de 280 hectares couplée à une gare de la ligne 17 Nord, prévue par le Grand Paris. Et d’autre part, un nouveau terminal T4 de l’aéroport de Roissy, censé passer de 70 à 120 millions de passagers par an.

La fièvre bâtisseuse dont le Triangle de Gonesse est l’objet est d’autant plus paradoxale que le site – coincé entre les aéroports du Bourget et de Roissy – est interdit à l’habitat. Cet obstacle majeur n’a pas découragé les élus, en vingt ans, de postuler pour les candidatures les plus extravagantes : Stade de France, Roland-Garros, circuit de Formule 1, technopôle, EuropaCity, gare et ligne du Grand Paris Express, Exposition universelle… Et dernière lubie : démarrer une zone d’activités de 100 hectares agrémentée d’une gare de métro en plein champ, alors que le pôle de Roissy est à l’arrêt à 75 % et que la demande de l’immobilier d’entreprises s’est effondrée.

2. Des grands projets inutiles aux habitants

A chaque fois, élus, aménageurs et promoteurs font miroiter de juteuses retombées économiques, reposant sur des estimations hasardeuses. Dès 1974 à l’ouverture de l’aéroport, les communes du Val-d’Oise se sont lancées dans une course éperdue à la bétonisation, pour bénéficier de la prétendue « manne des emplois » engendrés par le dynamisme présumé du pôle. Mais les promesses n’ont jamais été tenues. Roissy en 1975 comptabilisait 18 000 emplois, au lieu des 70 000 escomptés ; en 2013, le centre commercial Aéroville situé sur la plateforme n’a créé que 1 600 postes contre 2 700 annoncés. Et lors du débat public de 2016, la direction d’EuropaCity a dû réviser de moitié les effectifs prétendus : parti de 24 400, le nombre des créations d’emplois a peu à peu fondu et, en intégrant les postes supprimés ailleurs, le solde net oscillait dans une fourchette allant de 500 à 8 100 emplois.

Mais l’essentiel est ailleurs : même si les activités implantées créent en effet un certain nombre de postes, ceux-ci bénéficient très faiblement à la main-d’œuvre locale. L’exemple de l’aéroport de Roissy en apporte la preuve flagrante : seuls 6,2 % des actifs de son bassin y travaillent. En revanche, le site recrute sur une aire gigantesque, qui comprend toute l’Île-de-France, mais aussi l’Oise et l’Aisne. En réalité, le pôle de Roissy ne sera jamais attractif pour son bassin de proximité : l’ultra-spécialisation de ses activités ne génère qu’une palette très étroite de professions et métiers (300 à 500 sur la plateforme, contre 10 000 répertoriés en France). Les habitants des environs de Roissy ne peuvent pas devenir tous contrôleurs du ciel. De plus, ces filières (transport aérien, commerce international, tourisme) sont très dépendantes de la conjoncture extérieure, dont on découvre la fragilité avec la pandémie.

3. La surenchère misérabiliste des élus et acteurs économiques

Depuis des décennies, les décideurs locaux dramatisent la situation sociale du territoire pour justifier leur volonté aveugle d’urbaniser, allant jusqu’à gonfler les statistiques du chômage. En témoigne un communiqué de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) Paris Île-de-France paru cet automne : « Le taux de chômage du Grand Roissy monte jusqu’à 30 %. » C’est faux ! L’Insee indique un taux de chômage de 17,8 % (moyenne nationale : 13,6 %). Même constat dans une tribune des acteurs économiques du Val-d’Oise : « Un taux de chômage chez les jeunes avoisinant les 40 % dans certains quartiers. » Faux encore : l’Insee comptabilise pour l’agglomération Roissy-Pays de France 48 144 habitants de 15 à 24 ans, dont 5 960 chômeurs, soit 12,3 % de la population jeune. Taux à peine supérieur dans un quartier très sensible de Villiers-le-Bel : 899 habitants de 15-24 ans, dont 122 chômeurs, soit 13,5 % de la population jeune.

4. Prendre ses distances avec les pompiers pyromanes

Dans le bassin de Roissy, la perte de qualité urbaine agit comme un repoussoir des classes moyennes. BruitParif a démontré que la pollution sonore faisait perdre 28 mois de vie en bonne santé à un million de riverains. L’accumulation désordonnée de zones d’activités, les réseaux de transports saturés, les nuisances des deux aéroports… ont segmenté le territoire et accéléré la disparition d’espaces de nature. Avec un tel cadre de vie, seules les populations modestes restent là, par défaut. Dès qu’elles grimpent dans l’échelle sociale, elles fuient l’hostilité du site, aussitôt remplacées par de nouveaux arrivants en galère.

Sacrifier les populations locales, au nom d’une attractivité illusoire du territoire est une impasse écologique, socio-économique et bien entendu politique. On voudrait nous faire croire que la pauvreté du bassin justifie l’urbanisation, alors que c’est elle qui a engendré l’appauvrissement dont le territoire ne parvient plus à sortir. Quelle légitimité possèdent les bétonneurs, pleurant misère auprès des pouvoirs publics et réclamant les « milliards » d’investissements et les milliers d’emplois auxquels le Bassin aurait droit ? Comment confier l’avenir des populations locales à de tels pompiers pyromanes ?

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5. S’affranchir des stratégies territoriales « dépassées »

En annonçant l’abandon d’EuropaCity, Emmanuel Macron avait parlé d’un projet « daté » et « dépassé » : il parlait d’or ! De plus en plus s’exprime dans la société civile le rejet grandissant d’une politique territoriale descendante, remplissant progressivement tous les espaces de respiration d’une agglomération tentaculaire. La crise brutale que nous traversons a ringardisé les recettes quantitatives de « la vie d’avant » et leurs porteurs. A Roissy, la zone aéroportuaire est frappée de léthargie, les chantiers des centres d’affaires (International Center, Roissy Tech, Aérolians) sont en suspens et les avions cloués au sol. Il est urgent de mettre à profit ce temps d’arrêt pour inventer les alternatives de « la vie d’après ». Les activités riches en emplois doivent être au cœur des villes, là où sont les habitants. Il faut y reconstituer un tissu vivant d’artisanat et petits commerces, de services aux populations et d’emplois publics et associatifs. Seule la restauration du cadre de vie peut générer chez les résidents un sentiment d’appartenance à une « communauté de destin », qui permette de recréer des liens sociaux et de rebâtir une économie locale prospère.

Quant à la galère des transports, à quoi bon rajouter une offre supplémentaire ? Un nouveau métro ne peut servir d’alibi à une stratégie régionale inégalitaire qui concentre les richesses économiques sur quelques pôles et déplace les « premiers de corvée ». Qu’est-ce qui justifie qu’un actif de Villiers-le-Bel passe l’équivalent de sept ans de travail supplémentaire en temps perdu dans les bus et RER ? Vivre, travailler, se détendre « au pays », dans son bassin de proximité n’est pas un slogan réservé aux paysans du Larzac. Le meilleur transport est celui qu’on évite.

6. Recoudre le beau « Pays de France »

Il s’agit d’une région naturelle constituée de terres d’une richesse agricole exceptionnelle. Historiquement, c’est la fonction nourricière de ce territoire qui a permis au modeste roi de France d’étendre sa puissance. C’est ainsi que le petit Pays de France a donné son nom à la nation : un tel patrimoine national doit être préservé. Aujourd’hui, le constat est sévère : l’Île-de-France ne produit que quelques pourcents de son alimentation. Je propose d’inverser la question habituelle des aménageurs. Au lieu de « Quel projet d’urbanisation pour le Triangle de Gonesse ? », mieux vaudrait « Où localiser la fonction alimentaire de l’Île-de-France ? » Réponse sans appel : « Évidemment sur les meilleures terres » ! Malheureusement, l’organisation de l’espace dépend de schémas d’urbanisme et autres PLU… orchestrés par des organismes – le plus souvent publics, censés porter l’intérêt général – dont les budgets reposent sur la spéculation foncière, dans un contexte où l’hectare d’un limon millénaire vaut moins cher que l’hectare de friche industrielle.

Faire de l’aéroport de Roissy – l’équipement le plus nuisant d’Île-de-France après le boulevard périphérique – le moteur du développement du Pays de France est un non-sens. Quelle signification du concept de « Grand Roissy », qui rattache 711 000 habitants à Roissy-en-France (2 900 âmes) ? Il faut saisir l’occasion de la crise du transport aérien pour reconstituer un projet interdépartemental, recousant les trois morceaux artificiellement segmentés de l’Est-95, de l’agglomération de Terres d’envol (93) et du nord-ouest seine-et-marnais.

7. Valoriser les terres agricoles

Au sein d’un « bassin du Pays de France » reconfiguré, il existe un site privilégié – le Triangle de Gonesse – qui doit à son enclavement d’avoir été préservé. Peu propice à l’occupation humaine, il est au contraire très habité par des milliers d’espèces végétales et animales, qui ne demandent qu’à y prospérer. Le projet agri-urbain Carma est candidat pour valoriser ces terres agricoles, réduire notre dépendance alimentaire, piéger le carbone, préserver la biodiversité et protéger nos paysages. Son démarrage rapide sur le Triangle pourrait constituer un levier pour repenser les pratiques agricoles d’Ile-de-France. Mais il faut que l’Etat, après l’abandon d’EuropaCity, prenne la décision qui s’impose, assurant les conditions d’éclosion d’un Grand Projet Utile de Territoire, qui réconcilie petite et grande couronne, ville et campagne, emploi et habitat.

Jacqueline Lorthiois est urbaniste, socioéconomiste et cofondatrice du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG).

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