Selon les rapports d’Oxfam et des Amis de la Terre, 3 ans après l’accord de Paris, les banques françaises financent encore plus massivement le pétrole et le charbon. D’après Oxfam, Les Amis de la Terre et Le Monde le 26 novembre 2018.
Trois ans après l’Accord de Paris pris lors de la COP21, les banques françaises continuent de financer massivement les énergies fossiles : sur 10 euros, 7 euros vont à ces énergies climaticides, et seulement 2 euros aux énergies renouvelables (l’euro restant allant aux énergies nucléaire et hydraulique).
Oxfam a publié le 24 novembre un nouveau rapport « Banques françaises, les fossiles raflent la mise » après avoir étudié les financements de 6 banques françaises (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, Banques Populaires Caisse d’épargne, le Crédit-Mutuel CIC et la Banque Postale) en direction de 290 entreprises et 89 projets d’énergies renouvelables. Et le constat est accablant.
Alors que les scientifiques s’accordent à dire qu’il est urgent d’agir, pour préserver le climat, de rester sous la barre fatidique des 1,5 °C de réchauffement climatique, les banques continuent de soutenir massivement les énergies qui produisent le plus de gaz à effet de serre, comme le charbon, le pétrole et le gaz. De 2016 à 2017, elles ont réduit leurs financements à destination des énergies renouvelables (moins 1,8 milliard d’euros) d’un montant équivalent à l’augmentation de leurs financements vers les énergies fossiles (plus 1,8 milliard d’euros).
Alors que la finance mondiale se réunit à partir de lundi 26 novembre à Paris dans l’objectif affiché de construire un système financier durable, la note « COP21 + 3, les banques françaises toujours au charbon » publiée ce lundi 26 novembre par Les Amis de la Terre France révèle que les banques françaises soutiennent toujours la construction de nouvelles centrales à charbon en finançant massivement les entreprises qui portent ces projets.
La capacité mondiale de production d’électricité à partir de charbon a augmenté de 92 GW depuis l’adoption de l’Accord de Paris en 2015 et 1380 projets sont encore prévus aujourd’hui dans le monde [1].
Quelles sont les banques françaises qui nuisent le plus au climat ?
D’après de nouvelles données financières [2], BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et Natixis ont accordé depuis la COP21 plus de 10 milliards d’euros de financements aux 120 entreprises les plus agressives en matière de construction de nouvelles centrales à charbon [3]. C’est 52% de plus que les 6,7 milliards d’euros accordés pendant les trois années précédant la COP21.
BNP Paribas, arrive en tête avec 12,8 milliards d’euros de financements en 2016 et 2017, suivie de très près par le Crédit Agricole et la Société Générale, qui ont respectivement financé les énergies fossiles à hauteur de 12,6 milliards d’euros et 11,5 milliards d’euros sur la même période.
La faute aux politiques sectorielles des banques qui n’excluent de manière stricte que les financements de projets et ont au contraire des critères très faibles sur les financements d’entreprises. BNP Paribas, qui comptabilise près de 4 milliards d’euros de prêts et d’émissions d’actions et d’obligations aux 120 entreprises, a ainsi pris des mesures nettement insuffisantes pour restreindre directement ses soutiens aux entreprises très actives dans le secteur ou qui prévoient d’augmenter leur capacité charbon.
BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole ont accordé plus de 11 milliards de dollars (9,7 milliards d’euros) de financements, entre janvier 2016 et septembre 2018, aux 120 entreprises les plus « agressives » en matière de développement de centrales à charbon identifiées par l’ONG allemande Urgewald. Un chiffre en augmentation par rapport aux 6,5 milliards d’euros de financements de la période 2013-2015.
Parmi les firmes soutenues se trouvent des acteurs européens, comme les allemands RWE et Uniper ou le tchèque CEZ. « Ces entreprises étendent leurs mines et construisent de nouvelles unités, alors que les efforts devraient se porter sur la fermeture des 275 centrales actuellement en opération en Europe, dénonce Lucie Pinson, référente de la campagne sur la finance privée des Amis de la Terre et coauteure du rapport. Par ailleurs, elles intimident les gouvernements, comme lorsque RWE menace de poursuivre en justice les Pays-Bas s’ils actent une fermeture sans compensation de leurs centrales à charbon. »
Elle ajoute : « Les banques françaises refusent d’exclure un certain nombre d’entreprises au motif de les accompagner dans leurs efforts pour la transition énergétique. Nous disons que cela ne doit valoir que pour les entreprises qui s’efforcent réellement de se transformer en vue de s’aligner avec une trajectoire 1,5°C. Celles qui construisent délibérément des projets charbon que les plus hautes autorités scientifiques et politiques ont qualifiés à de multiples reprises de strictement incompatibles avec l’Accord de Paris doivent immédiatement être mises au ban. Refuser de le faire, c’est se porter responsable du développement du secteur le plus émetteur de CO2 et signer dès maintenant l’échec des objectifs climatiques adoptés en 2015 par la communauté internationale ».
Si les financements de projets ont toujours représenté moins de 10% des financements au secteur du charbon, la part des financements d’entreprises dans la construction de nouvelles centrales est amenée à croître du fait des risques réputationnels énormes associés au charbon. C’est notamment le cas en Europe où 66 projets sont toujours prévus, alors que tous les efforts devraient être tournés vers la fermeture avant 2030 des 275 centrales à charbon en opération [4].
Lorette Philippot, chargée de campagne Finance privée aux Amis de la Terre France explique : « Avec respectivement 1,8 milliard et 1 milliard d’euros de financements aux développeurs européens de nouvelles centrales à charbon depuis la COP21, BNP Paribas et Société Générale sont les 3ème et 10ème banques internationales à soutenir le plus les entreprises qui bloquent l’Europe dans sa transition énergétique. Parmi leurs clients figurent l’allemand RWE et le tchèque CEZ dont les activités charbon à 500 kilomètres de Paris ou de Katowice où se tiendra la COP24, menacent notre climat, notre santé et même des villages entiers de destruction. Le rapport du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement à 1,5°C a démontré qu’il nous fallait accélérer la sortie des énergies fossiles. Il est criminel de continuer de financer les entreprises du charbon, mais aussi des sables bitumineux et des gaz de schiste comme le font Crédit Agricole et Société Générale ».
La note publiée par Les Amis de la Terre, quelques jours avant le Climate Finance Day et la COP24, appelle les banques à revoir leurs politiques. Les banques françaises doivent s’engager à aligner leurs activités avec une trajectoire + 1,5 °C, exclure immédiatement les entreprises qui étendent leurs activités dans le secteur du charbon ou y sont fortement actives ou exposées, et conditionner leurs soutiens aux autres entreprises à l’adoption d’ici 2020 d’un plan détaillé de fermeture de leurs infrastructures charbon.
« Seuils d’exclusion »
Le mécanisme est le même pour le pétrole ou le gaz. Selon Profundo, en 2016, BNP Paribas a, par exemple, souscrit à une émission d’obligations du pétrolier anglo-néerlandais Royal Dutch Shell pour une valeur de 390 millions d’euros. En 2017, le Crédit agricole a octroyé un prêt de 594 millions d’euros à la société gazière russe Gazprom.
Pour réduire leurs aides aux entreprises les plus polluantes, les banques ont mis en place des « seuils d’exclusion ». Le Crédit agricole et Natixis (filiale de BPCE) l’ont fixé à 50 % pour le charbon, c’est-à-dire qu’elles écartent de leurs aides les firmes qui font plus de 50 % de leurs revenus ou de leur production à partir de cette énergie. BNP Paribas et la Société générale n’ont pris un tel engagement que pour leurs nouveaux clients.
Un seuil encore trop élevé pour les associations, qui appellent à l’abaisser à 30 % au maximum, comme le font de nombreux investisseurs, tels qu’Allianz ou Generali. « [L’anglo-suisse] Glencore, le 8e plus gros producteur de charbon au monde, tire 21 % de ses revenus de [celui-ci]. Il est indispensable que les banques excluent les entreprises en fonction de leur production absolue, et non plus seulement relative, si elles veulent réellement limiter l’impact de leurs financements sur le climat », avance Lucie Pinson, qui appelle les banques à « cesser immédiatement de soutenir toutes les entreprises qui développent de nouvelles activités charbonnières ». Oxfam, de son côté, les enjoint de « publier un plan de sortie des énergies fossiles ».
Force est de constater que malgré les beaux discours verts, les banques sont dans l’immobilisme face au défi du changement climatique ! Pourtant, une véritable transition énergétique ne peut s’opérer que si les banques financent les énergies renouvelables et cessent de financer les énergies fossiles.
Alors que les grands acteurs de la finance internationale se réunissent à Paris, en cette fin de mois de novembre, dans le cadre des Climate Finance Days, et que la COP 24 s’ouvre début décembre en Pologne, Oxfam demande aux banques :
- De cesser de soutenir les entreprises qui développent de nouvelles activités charbonnières
- De publier un calendrier de sortie des énergies fossiles
- D’être transparentes sur leurs financements.
Enfin, l’Etat doit également prendre ses responsabilités face à l’urgence climatique en renforçant l’ambition de la Loi sur la Transition énergétique qui impose aux banques d’évaluer les risques liés aux changements climatiques.
Nous sommes à un tournant dans l’action climatique qui demande immédiatement une union et une ambition commune du secteur privé, des pouvoirs publics et des citoyens. Les financements d’aujourd’hui façonnent le modèle énergétique de demain or, et les mobilisations pour le climat l’attestent, il est temps d’agir et de prendre les bonnes décisions. Ce message sans équivoque doit maintenant être entendu des banques.
Note : Le rapport d’Oxfam montre que BNP Paribas est la banque française qui soutient le plus les énergies fossiles : charbon, pétrole et gaz. En mars 2018, les Amis de la Terre ont montré que Société Générale, elle, arrivait en tête concernant les énergies fossiles considérées comme les plus impactantes pour le climat : charbon, sables bitumineux, pétrole et gaz de schiste, forages en région Arctique et eaux profondes, gaz naturel liquéfié.
Chiffres clés :
- Plus de 1380 projets de centrales à charbon sont encore prévus dans le monde, dont 66 en Europe ; si elles sont construites, elles augmenteraient la capacité installée globale de plus de 33%.
- 120 entreprises particulièrement agressives dans le développement de nouvelles centrales à charbon représentent 68% du pipeline mondial de nouvelles centrales à charbon et constituent la Coal Plant Developers List (CPDL).
- BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et Natixis, ont augmenté leurs financements aux 120 développeurs de charbon depuis la COP21 et l’adoption de leurs engagements charbon, passant de 6,7 milliards d’euros entre 2013 et 2015 à 10,25 milliards d’euros entre 2016 et 2018.
- BNP Paribas comptabilise près de 4 milliards d’euros de prêts et d’émissions d’actions et d’obligations à ces entreprises depuis la COP21.
- Si Crédit Agricole finance majoritairement des entreprises asiatiques, BNP Paribas et Société Générale financent les développeurs de charbon européen, avec respectivement 1,8 milliard et 1 milliard d’euros de financements.
- BNP Paribas et Société Générale financent les entreprises qui développent leurs mines et centrales à charbon au sein même de l’Europe et bloquent ouvertement la sortie du charbon sur le continent, comme les Allemandes RWE et Uniper, ou la Tchèque CEZ.
[1] Voir le communiqué de presse d’e l’ONG allemande urgewald du 4 octobre 2018 : https://coalexit.org/sites/default/files/download_public/Urgewald%20Press%20Release%20-%20Coal%20Plant%20Developers%20-%2010-04-2018_final2.pdf
[2] Recherche financière effectuées par le cabinet indépendant Profundo aux Pays-Bas à la demande des Amis de la Terre France, urgewald, BankTrack, Re:Common et Rainforest Action Network.
[3] Liste des 120 développeurs de charbon définit par urgewald et disponible sur https://coalexit.org/database
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