L’économiste Lucas Chancel et la sociologue Dominique Méda détaillent une série de propositions identifiées par les membres de l’initiative « 2022 ou jamais. Pour une primaire populaire » et soutenues par les principaux partis de gauche et écologistes. Voir aussi le site 2022 (vraiment) en commun. Tribune publiée le 04 mai 2021 dans Le Monde. Lire aussi Le revenu universel, un choix présidentiel, Transition écologique en chantier et Appel des Soulèvements de la Terre.
Est-il possible, aujourd’hui, de rassembler, dans un projet commun, les aspirations légitimes de la génération climat, des « gilets jaunes « , des mouvements féministes et antiracistes, du personnel soignant, des « premiers de corvée », ainsi que des sympathisants des partis politiques de la gauche et de l’écologie ? Oui, c’est le pari de l’initiative « 2022 ou jamais. Pour une primaire populaire » qui vise à remettre la question de la justice au cœur du débat public.
En dehors des sentiers battus, les luttes pour la justice se multiplient. C’est en son nom que, partout, des populations éloignées du champ militant ou politique se mobilisent. Après l’aggravation des inégalités provoquée par la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune, celles de la loi travail, des retraites et de l’assurance-chômage, après les violences policières et les reculs sur la loi Climat et résilience, la coupe des injustices est pleine.
Un véritable tournant
Pourtant, le camp humaniste, écologiste et social semble prêt, à un an de l’élection présidentielle, à se condamner au rôle de spectateur. Mais il n’y a là aucune fatalité. Les tentatives de primaires communes avant la présidentielle ont été un échec. Pourquoi ? Car trop peu de temps a été investi dans les débats de fond, pour comprendre et penser les désaccords sur l’Union européenne, sur l’écologie ou sur les institutions – mais aussi, et surtout, pour identifier les convergences et les horizons communs à toutes ces formes de militantisme.
Depuis près d’un an, la Rencontre des justices, regroupant des jeunes militants et militantes associatifs, des entrepreneurs sociaux, des acteurs du monde social, a mis en œuvre une méthode pour fédérer des populations qui se parlaient trop peu. De ces rencontres ont émergé de nombreuses propositions sur l’écologie, la réforme des institutions, les questions économiques et sociales, toutes issues de ces mouvements associatifs qui, depuis nos banlieues, centres-villes ou villages, témoignent de la force du désir d’engagement dans notre pays.
Depuis deux mois, les animateurs de la Rencontre des justices discutent de ces propositions avec les référents des partis politiques de l’arc humaniste et écologiste (à commencer par les écologistes, les « insoumis » et les socialistes), pour identifier un socle commun de propositions pouvant être mises en œuvre pendant une mandature. A notre connaissance, aucun travail de la sorte n’avait jamais été effectué.
Les débats ont été nombreux et féconds. Si des divergences ont été identifiées, dix ensembles de propositions-phares sont soutenus par tous. Si elles étaient toutes développées, ce serait un véritable tournant dans l’histoire politique de ce pays.
Candidature unitaire
Le premier paquet de mesures communes vise à renforcer la démocratie. Il s’agit notamment d’instaurer la proportionnelle aux législatives et de garantir la mixité sociale de l’Assemblée nationale. Ce paquet de mesures inclut également le droit de vote à 16 ans et la limitation à deux mandats politiques.
Un accord large est également obtenu sur le besoin de rééquilibrer les pouvoirs du président et du Parlement pour aller vers une VIe République. Les différents courants s’entendent pour convoquer, sur le modèle de la convention citoyenne pour le climat, une convention pour le renouveau démocratique, destinée à laisser davantage d’initiative citoyenne et parlementaire dans l’élaboration des lois.
Enfin, toutes et tous soutiennent l’élargissement des prérogatives du Défenseur des droits, le remplacement de la police des polices [l’inspection générale de la police nationale] par une autorité indépendante, mais aussi la revalorisation du métier de policier et le renforcement de la formation de la profession à la prévention des violences sexistes et sexuelles.
Le second paquet de mesures vise à garantir la justice sociale, en permettant à chacun de couvrir ses besoins essentiels, notamment grâce à un revenu de solidarité dès 18 ans, versé sous condition de ressources. La garantie d’un emploi décent rémunéré à un juste salaire pour chacun est également au cœur du dispositif de lutte contre le chômage.
La démocratisation du monde du travail constitue un autre volet essentiel de la république sociale proposée. Il s’agit d’organiser la participation des travailleuses et des travaillleurs aux décisions stratégiques des organisations auxquelles ils appartiennent, en renforçant considérablement la présence des représentants des salariés au conseil d’administration et en dotant le comité social et économique de droits nouveaux, y compris de veto.
Notre pays a besoin d’un investissement massif dans son infrastructure sociale : notre système de santé est asphyxié, notre recherche est affaiblie, notre système éducatif plombé par les inégalités, comme nos territoires. Ces milliards renforceront notre capacité à faire face aux prochaines crises.
Ces réformes seront financées et accompagnées par un « big bang » fiscal, notamment grâce à la restauration et à la modernisation de l’impôt sur la fortune, et au rétablissement de la progressivité de l’impôt sur les revenus du capital et des entreprises. Ces mesures seraient engagées par la France quelle que soit l’issue des négociations avec nos partenaires européens.
Enfin, en matière d’écologie, toutes les propositions de la convention citoyenne pour le climat seront mises en œuvre, à commencer par un grand plan de rénovation thermique des bâtiments, porteur d’emplois non délocalisables. Une loi de transition agricole et paysanne permettra d’accompagner et de financer les agriculteurs vers des exploitations bio, d’organiser le plafonnement des marges de la grande distribution et de garantir la vente libre des semences paysannes.
Il existe bien un socle commun susceptible de rassembler l’ensemble de la gauche écologique et sociale. Sa mise en place permettrait de remplir une mandature riche en avancées pour la justice sociale. Elle requiert désormais une candidature unitaire pour porter ce projet.
Lucas Chancel, économiste, et Dominique Méda, sociologue, sont parrain et marraine de l’initiative « 2022 ou jamais. Pour une primaire populaire ».