Jeudi 17 mai, la Cour de justice de l’Union européenne examinait un recours déposé par Madrid, Paris et Bruxelles. L’enjeu : annuler le « permis de polluer » accordé aux firmes automobiles. Ce même jour, la Commission européenne annonçait sa décision de renvoyer la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, la Hongrie et la Roumanie devant la même juridiction pour non-respect de la directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air. D’après l’Humanité et Le Monde. Lire aussi La pollution de l’air tue 7 millions de personnes dans le monde chaque année, « Les cobayes lancent l’alerte » : appel pour la marche « vérité et justice » pour la santé environnementale, Diesel : les constructeurs automobiles continuent d’enfumer nos villes et Médecins et associations unissent leurs voix pour rappeler l’urgence d’agir face à la pollution de l’air.
En Allemagne, les communes peuvent bannir les moteurs diesels dans les rues, à l’image de Hambourg. Fabian Bimmer/Reuters
La Cour de justice de l‘Union européenne examinait hier la recevabilité du recours déposé conjointement par les villes de Paris, Madrid et Bruxelles : celles-ci contestent le règlement européen sur les limites d’émissions d’oxyde d’azote (NOx) des véhicules à moteur diesel, introduit dans la foulée du scandale du Dieselgate.
Rappelons-nous : en 2007, le Parlement européen a adopté des règlements visant à fixer une limite maximale de 80 mg/km pour les émissions d’oxyde d’azote des véhicules et utilitaires légers vendus dans l’Union européenne. L’objectif étant d’améliorer la qualité de l’air. Sauf qu’au lieu de mettre en œuvre des mesures permettant de respecter ce niveau d’ambition, les constructeurs automobiles ont contourné ces normes par le biais de systèmes frauduleux de contrôle. C’est ainsi qu’en septembre 2015, le Dieselgate a révélé que les véhicules diesels produits par de nombreux constructeurs émettaient des niveaux de pollution plus élevés que ce qu’ils déclaraient.
Un « permis de polluer » marquant la victoire du lobby automobile malgré le « dieselgate »
Mais sous la pression intense des lobbies de l’industrie automobile, la Commission a décidé, en contrepartie de nouvelles méthodes de mesure des émissions, de donner du temps aux constructeurs pour qu’ils puissent s’adapter progressivement aux nouvelles règles. Plutôt que d’engager des sanctions à leur encontre ! Ainsi, à compter de septembre 2017, les émissions de NOx peuvent légalement dépasser la limite de 80 mg/km, à hauteur de 110 %. Et à partir de 2020, les émissions de NOx pourront toujours dépasser cette limite à hauteur de 50 %…
Les avocats représentant les villes de Paris, Bruxelles et Madrid entendent faire valoir que ces limites d’émissions constituent ce que la maire de Paris a appelé un « permis de polluer », ainsi qu’une « régression de la législation européenne en matière d’environnement en vigueur destinée à protéger la santé publique et améliorer la qualité de l’air ». Pour eux, nul doute que ce règlement trahit « l’accord de Paris » par son échec à permettre une transition favorable aux véhicules propres et nécessaire à contrer le changement climatique.
« La pollution de l’air tue chaque année 500 000 personnes dans l’Union européenne et le trafic routier en est l’un des premiers responsables », a rappelé Anne Hidalgo, qui a fait de la lutte contre la pollution de l’air une priorité de son mandat. L’élue, qui doit assister à l’audience des plaidoiries, juge la décision européenne « incompréhensible tant elle contrevient aux enjeux de santé publique et au droit européen de l’environnement fondé sur la “non-régression des normes” ». Si le recours devait aboutir, le règlement de 2007 s’appliquerait, avec les limites d’émissions de NOx rétablies à 80 mg/km.
Cette audience sera aussi la première occasion pour la Cour de justice européenne d’entendre les arguments des villes comme « personnes concernées », reflétant ainsi leur autorité croissante en matière de santé publique et d’action en faveur du climat. « Les citoyens de Paris et du monde entier réclament une amélioration de la qualité de l’air qu’ils respirent. Les citoyens européens se sentiraient trahis si les constructeurs automobiles et les lobbies industriels en venaient à dicter les lois qui régulent certains de leurs produits les plus polluants », insiste Anne Hidalgo, également présidente du C40, organisation réunissant 86 agglomérations engagées dans la lutte contre le dérèglement climatique. « Nous ne parlons pas seulement de la santé et du futur des grandes villes, mais aussi de ceux de la planète. J’espère que cette initiative est la première d’une longue liste d’actions pouvant être mises en œuvre à l’échelle des gouvernements locaux », estime pour sa part Manuela Carmena, maire de Madrid.
Action pour dénoncer la pollution de l’air, place de la Concorde, à Paris, le 31 mars 2018. JACQUES DEMARTHON / AFP
La Commission européenne a mise à exécution sa menace, jeudi 17 mai, en annonçant sa décision de renvoyer la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, la Hongrie et la Roumanie devant la même juridiction pour non-respect des normes de qualité de l’air. Parmi les neuf Etats faisant l’objet d’une procédure d’infraction, l’Espagne, la Slovaquie et la République tchèque échappent à la punition, mais elles restent sous surveillance, dit-on à Bruxelles.
Des sources proches de la Commission confient : « Si la France a fait des efforts, la situation reste très préoccupante dans douze zones soumises à des niveaux de dioxyde d’azote (NO2) très élevés ».
Gaz très toxique, le NO2 a été rendu célèbre par le scandale du « dieselgate ». Quant aux enquêtes qui ont été ouvertes sur les constructeurs fraudeurs (Volkswagen et FIAT notamment), la Commission demande officiellement à l’Allemagne et à l’Italie d’accélérer.
Urgence sanitaire
Après des années d’avertissements et d’ultimatums sans lendemain, Bruxelles a décidé de taper du poing sur la table. Pour une raison principale : l’urgence sanitaire. Le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), publié au début du mois, rappelle que la pollution de l’air tue environ 500 000 personnes en Europe chaque année, dont 48 000 en France.
La Commission reproche aux Etats cancres des dépassements répétés des valeurs limites (fixées à 40 µg/m3 en moyenne annuelle) des émissions de particules fines PM10 (de diamètre inférieur à 10 micromètres) et de dioxyde d’azote (NO2).
Cette décision n’est pas une surprise pour le gouvernement. La France est dans le viseur de Bruxelles depuis près de dix ans pour non-respect de la directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air. La première mise en demeure remonte à 2009. D’autres ont suivi en 2010, 2011, 2013, 2015 et 2017.
A chaque fois, le législateur européen martelait les mêmes griefs : « La France n’a pas pris les mesures qui auraient dû être mises en place depuis 2005 [pour les PM10, et 2010 pour les NO2] pour protéger la santé des citoyens, et il lui est demandé d’engager des actions rapides et efficaces pour mettre un terme aussi vite que possible à cette situation de non-conformité. » Et à chaque fois, il brandissait la même menace : « Si la France n’agit pas dans les deux mois, la Commission peut décider de porter l’affaire devant la Cour de justice de l’UE. »
« Feuilles de route » pour les 14 zones concernées
Le 30 janvier, le commissaire à l’environnement européen, Karmenu Vella, avait convoqué le ministre de la transition écologique français, Nicolas Hulot, et ses collègues européens à un sommet de la « dernière chance » à Bruxelles. « Nous sommes à la fin d’une longue période — trop longue diront certains — d’offre d’aide, de conseils et d’avertissements », avait tonné M. Vella avant de leur accorder un ultime délai (mi-février) pour présenter des plans d’actions susceptibles de réduire la pollution de l’air dans les meilleurs délais.
Enjoint également par le Conseil d’Etat de transmettre un tel plan à la Commission avant le 31 mars, M. Hulot avait présenté le 13 avril les « feuilles de route » des quatorze zones concernées par des dépassements des normes : Ile-de-France, Marseille, Nice, Toulon, Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Valence, vallée de l’Arve, Strasbourg, Reims, Montpellier, Toulouse et la Martinique.
Sans mesures radicales, et se contentant souvent d’empiler des dispositifs déjà existants, ces feuilles de route ont été jugées insuffisantes par la Commission européenne. Au ministère de la transition écologique, on rappelle que la situation actuelle est « l’héritage de dizaines d’années où nous avons privilégié la voiture, le transport routier, au détriment des solutions écologiques », et on veut croire que la future loi sur les mobilités permettra de rectifier le tir et de « sortir au plus vite de ce contentieux ». Dans l’entourage de Nicolas Hulot, on fait aussi remarquer que « l’argent serait plus utile pour lutter contre la pollution que pour payer des amendes ».
Seuls deux pays ont été condamnés
Car la décision de Bruxelles de saisir la CJUE expose la France à une menace financière. Les textes prévoient une sanction d’au moins 11 millions d’euros et des astreintes journalières d’au moins 240 000 euros jusqu’à ce que les normes de qualité de l’air soient respectées. Mais entre la saisine et la condamnation, la procédure peut encore durer plusieurs années. Prochaine étape, la CJUE prononce un arrêt en manquement. La Commission est alors chargée d’exécuter l’arrêt. Si la France est toujours dans l’incapacité de respecter la directive de 2008, la Commission saisira de nouveau la CJUE. Les juges pourront alors prononcer une condamnation financière.
Jusqu’à présent, seuls deux pays ont été condamnés par la CJUE pour avoir exposé leurs citoyens à un air trop pollué : la Pologne, en février, et la Bulgarie, en avril 2017. Mais pour l’heure, ils ont échappé à une amende, ce qui pourrait aussi être le cas de la France. En 2013, elle avait été condamné par la CJUE dans un autre dossier de pollution, celui des excès de nitrates dans ses eaux, en violation d’une réglementation de 1991. Depuis, l’état de ses rivières s’est légèrement amélioré et la menace d’une amende s’est dissipée.
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