PSA : Retour au réel
Par Noël Mamère, député EELV de Gironde - Edito du 16 juillet 2012
Après le barnum électoral, place aux choses sérieuses. A la demande du gouvernement Sarkozy - Fillon, PSA, comme d’autres grandes entreprises, avait mis entre parenthèses ses plans massifs de licenciements. Au cœur de l’été, juste après la Conférence sociale, les patrons voyous mettent fin au suspens ... déjà dénoncé depuis plus d’un an par la CGT de l’Usine d’Aulnay. La facture est lourde : 3300 emplois supprimés et la fermeture de l’usine à PSA Aulnay, ce qui veut dire au bas mot, 10 000 emplois à terme, avec les sous-traitants et les emplois induits, 1400 à Rennes ... Pour le gouvernement Hollande - Ayrault , revient le spectre d’une affaire qui avait mis à mal la gauche plurielle de 1997, avec la fermeture de l’usine de montage de Renault Vilvoorde.
La réalité, c’est la crise de l’industrie automobile européenne depuis 30 ans qui, de restructurations
en fermetures de sites, prend le chemin de la sidérurgie des années 1980. Seul le ministre Montebourg s’interroge encore sur la réalité de cette crise en refusant de mettre en avant une stratégie de reconversion globale de la filière ou en appelant à la lutte contre le capitalisme mondialisé.
Or, PSA est une entreprise « bien de chez nous ».
L’actionnaire de référence du groupe est constitué depuis plus d’un siècle par la même famille, les Peugeot. Jusqu’à cet hiver 2012, elle avait refusé toute fusion avec plus gros. Renault, satellisé par Nissan ou Fiat, recentrant son activité autour de Chrysler, a fait des choix différents.
PSA s’est retrouvé en retard sur la voie de l’internationalisation : en 2009, 73% de la production totale de Renault étaient réalisés hors de France, contre 62% pour PSA. Pour investir davantage dans les nouveaux pays de conquête automobile, les ressources nécessaires sont à trouver dans le profit réalisé grâce aux travailleurs des usines européennes. Jamais, avant 2012, les firmes automobiles n’auront produit et vendu autant de voitures dans le monde.
PSA, dépassé par les événements, conclut à la va-vite une alliance avec General Motors en mars 2012. Son arrivée dans le capital de PSA se traduit par des plans des bureaux d’études échangés, des achats mis en commun, une logistique partagée et, surtout, la restructuration coordonnée des appareils de production en Europe : cette alliance se fixe comme objectif encore plus de suppressions d’emplois et de fermetures d’usines. Si l’on ajoute que certains postes d’avenir dans la recherche et le développement sont également supprimés, on peut se demander si PSA n’est donc pas dans une autre stratégie : la préparation d’une liquidation - fusion avec General Motors. Même l’annonce du chiffre des ventes de voitures souligne cette stratégie. La direction « oublie » en effet de préciser que, suite à l’accord avec GM, elle a décidé de suivre l’embargo américain sur le marché iranien. Or, ce marché tenait jusqu’alors la deuxième place dans les ventes du groupe, juste après la France. En renonçant à exporter en Iran, PSA a décidé de s’asseoir sur 457 000 voitures vendues par an (en 2011), soit quelque 200 000 en six mois... Quelle surprise, tout juste le chiffre de baisse des ventes, annoncé cette semaine !
En réalité, l’annonce prévue depuis longtemps de la fermeture d’une usine de montage est inscrite dans la stratégie de délocalisation pour faire baisser le coût du travail. Un signe qui ne trompe pas : Laurence Parisot a évidemment pris fait et cause pour la fermeture d’Aulnay en expliquant qu’il fallait « accepter des restructurations » au nom de la compétitivité, même si c’était « douloureux », argument qu’elle avait déjà mis en avant lors de la Conférence Sociale. Il y a au moins une catégorie de la population que ces manœuvres rendent enthousiaste : ce sont les spéculateurs. Le jour de l’annonce par le groupe des milliers de licenciements, l’action du groupe a bondi...de plus de 5 % !
Dès lors, la colère sociale risque de s’exprimer à partir de septembre et de fédérer autour de PSA les secteurs où sont menacés plus de 60 000 emplois, comme dans les transports ( Air France), le commerce ( Carrefour), la santé (Sanofi), l’agro-alimentaire (Doux). Cette mobilisation se battra à juste titre pour le maintien des emplois et contre la fermeture des sites industriels. A l’usine Ford de Blanquefort, en Gironde, cette mobilisation avait empêché les licenciements.
Mais le gouvernement est obligé de voir plus loin. Il ne peut se résigner à jouer au pompier de service en essayant d’atténuer au cas par cas les plans de licenciements, en négociant quelques miettes avec ceux qui reçoivent des milliards d’aide par an pour « assainir » leur industrie. Ces aides doivent maintenant être supprimées, ou conditionnées sévèrement. De même, nous devons revoir d’urgence les conditions d’application de ces plans de licenciements, qui devraient pouvoir être suspendus lorsque l’entreprise redistribue des bénéfices à ses actionnaires sans tenir compte de l’emploi de ses salariés. La droite et le MEDEF avaient hurlé au loup quand quelques- uns, à gauche, avaient proposé de rétablir l’autorisation administrative de licenciement, mais lorsque l’on voit l’arrogance de ces gens qui bénéficient de parachutes dorés, de stocks options, de salaires faramineux, alors que leur mauvaise gestion conduit leurs entreprises à la faillite et leurs salariés au chômage, on ne peut que se reposer la question. En même temps, il faut construire un bouclier social européen, en imposant à Bruxelles que ses aides aux entreprises délocalisant hors Union Européenne soient supprimées. Le dumping social, ça suffit !
Mais, au-delà de ces mesures d’urgence, l’exemple du secteur automobile illustre bien la nécessité de la conversion écologique de l’économie. Si nous voulons éviter de rejouer la mauvaise pièce de la sidérurgie lorraine, où l’on a sciemment menti aux populations sur l’avenir de cette industrie, nous devons dire la vérité : la circulation automobile régressera. C’est une réalité parce que la société de l’après-pétrole a déjà commencé. La conversion est une mesure de bon sens pour désengorger les villes et lutter contre la pollution urbaine. C’est aussi une nécessité climatique et un enjeu écologique majeur : les transports comptent pour 31 % de la consommation d’énergie finale, 70 % de la consommation de pétrole et 25 % des émissions de CO2. L’automobile à elle seule représente 12% des émissions en Europe. Des centaines de milliers de familles sont aujourd’hui concernées par l’avenir de cette industrie et l’automobile représente 15 % du budget des ménages. Je refuse que cette mutation se fasse sur le dos de ses salariés en raison de l’imprévoyance du patronat de ce secteur. C’est pourquoi je propose que l’Etat, en liaison avec l’Union européenne, établisse un contrat de conversion écologique du secteur automobile. Il faut que, simultanément, nous mettions en place un « Grenelle de l’automobile », pour examiner toutes les pistes à mettre en place et la tenue d’un « Bruxelles de l’emploi » qui réunirait les entreprises, la Confédération européenne des syndicats, les associations de consommateurs, la Commission européenne, les représentants du Parlement... La crise de l’automobile en Europe concerne 2,5 millions de familles. Si l’Europe veut faire un pas vers son intégration, elle doit se saisir de cet exemple, d’autant plus que c’est chez les nouveaux entrants, comme la Roumanie, que les entreprises de l’automobile ont délocalisé à tour de bras pour faire baisser le coût du travail et réaliser des profits maximum. Tout, désormais, doit être mis sur la table.
Noël Mamère, le 16 juillet 2012.
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Crise automobile : le mal vient de plus loin…
Par Alain Lipietz, ancien député européen EELV
Bien sûr, le Président Hollande a raison de fustiger la direction de P.S.A. et le précédent gouvernement, qui ont caché l’importance de la crise qui frappe l’automobile française. Bien sûr, le ministre Montebourg a raison de proclamer sa défiance vis-à-vis d’une direction qui a accumulé les échecs, et ne peut opposer que le faible argument du « coût du travail en France ». Il lui suffit de rappeler que Toyota a ouvert son usine d'Onnaing après le vote de la loi Aubry sur les 35 heures, et qu’aujourd’hui cette usine –qui produit la petite Yaris hybride - embauche et prévoit d’exporter les Etats-Unis ! A l’évidence, le travailleur de l’automobile français, moins payé que l’allemand, reste compétitif quand la direction sait organiser le travail et concevoir le bon produit.
Le mal est plus profond. Et ce sont toutes les forces politiques gouvernementales françaises, depuis plus de 30 ans, qui l’ont encouragé. Pourtant, les appareils d’expertise de l’Etat avaient porté très tôt à l’attention des gouvernements des diagnostics qui se sont avérés justes.
Tout commence à la fin des Trente Glorieuses, le cycle de croissance correspondant à la diffusion en France du modèle « fordiste » : production fondée sur la grande série et la parcellisation des tâches (le taylorisme), plein emploi assuré par des salaires croissants et la consommation de masse. Le choc pétrolier de 1974 vient ébranler ce modèle déjà miné par la mondialisation et l’épuisement des gains de productivité permis par le travail à la chaîne. Le Président Giscard d’Estaing lance le slogan : « Redéploiement industriel »... Oui, mais vers quoi ? Une étude de la Datar (sur l’automobile, la machine-outil et le bâtiment) montre que l’industrie française souffre de deux défauts jumeaux : un divorce entre l’encadrement et les ouvriers maintenus déqualifiés, des rapports de domination imposés par les grandes entreprises à leurs sous-traitants qui empêchent ceux-ci de développer leurs technologies.
Au début des années 80, deux voies se dessinent pour sortir de la crise du fordisme : soit relancer la productivité à travers la qualification des travailleurs, leur mobilisation dans la recherche de processus plus efficaces, ce qui implique des contrats salariaux relativement favorables, soit au contraire une aggravation de la condition salariale, une flexibilisation des contrats, un taylorisme aggravé. C’est la seconde voie que choisit la France. Dans les entreprises, les contrats à durée déterminée et le recours massif à l’intérim se développent à grande vitesse. Le taylorisme progresse jusque dans le tertiaire et les services publics, au grand désespoir des travailleurs et des usagers, comme à France Telecom.
Ce choix d’une réponse libérale à la crise du fordisme a été géré essentiellement par la gauche, sous les deux présidences Mitterrand. Ce n’était pas fatal. Avec les lois Auroux, le gouvernement Mauroy de 1981 avait caressé l’hypothèse d’une requalification du travail. Le débat eut lieu avec vivacité dans une cellule d’expertise économique regroupée autour de Jacques Attali à l’Elysée, sous l’aimable férule... du jeune François Hollande. Mais dès 1982, les jeux étaient faits : le redéploiement industriel se fondrait sur la « révolution technologique » et la « flexibilisation » des contrats salariaux… et pas sur la requalification du travail.
Dans le reste du monde, ce modèle l’emporta très largement, en particulier aux Etats-Unis. Mais, à ce jeu (la compétitivité par la flexibilité et les bas salaires), les vieilles puissances industrielles ne pouvaient qu’être battues par les nouveaux pays industrialisés, devenus aujourd’hui « pays émergents ». Quelques pays échappèrent à la règle, de la Scandinavie au Japon (on parla du modèle Toyota, du modèle Volvo), mais encore fallait-il, pour chaque firme, concevoir le bon produit.
Car un autre danger guettait l’automobile : la nature même de son produit, qui au fil des années apparaissait de plus en plus incompatible avec les contraintes écologiques globales et locales : effet de serre, encombrement et pollution des villes, sans compter les accidents. Un nouveau débat eut donc lieu en France quand, en 1997 sous Lionel Jospin, les écologistes entrèrent pour la première fois au gouvernement. J’eus la responsabilité d’un rapport au Conseil d’Analyse Économique, sur les écotaxes. Instruit par les premières publications scientifiques sur les dangers cancérigènes du développement du diesel, je proposais un effacement rapide de l’avantage fiscal dont bénéficie en France le diesel pour les véhicules particuliers. A ma grande surprise me fut opposé un contre-rapport minimisant ce danger et proposant un étalement dans le temps de l’égalisation entre prix du diesel et du super. J’eus beau invoquer avec force la responsabilité des experts officiels dans l’affaire du sang contaminé : sous la pression du groupe PSA, l’idée d’un alignement du diesel sur l’essence fut progressivement abandonné, comme les tentatives de la ministre Dominique Voynet d’encourager le GPL. Le retour de la droite consolidait cet échec, et en une décennie la France dériva d’une minorité de voitures diéselisées à une très large majorité.
80% d’intérimaires parmi les ouvriers, 80% de voitures diesel : deux dérives qui aujourd’hui coûtent cher à la France, jamais contrées par les gouvernements successifs, malgré les signaux qui leur ont été envoyés, malgré les efforts de la direction Folz pour humaniser les rapports sociaux dans les usines Citroën-Peugeot. Le groupe PSA souffre aujourd’hui de mal produire des produits dangereux pour la santé publique. Le classement officiel par l’OMS du diesel comme cancérigène lui a sans doute porté le coup décisif.
Que faire ?
La crise ouverte en 2008 marque la fin du modèle des 30 dernières années, à la fois libéral et productiviste (oublieux des contraintes écologiques). La Présidence Sarkozy n’a su répondre que par des « primes à la casse », arguant que les nouvelles autos seraient nécessairement moins polluantes que les vieux modèles. Méthode extrêmement coûteuse pour un progrès dérisoire. Tout l’effort public, toute la coopération contractuelle État-industrie, et tout le débat patronat/syndicat, doivent aujourd’hui porter sur ces deux volets essentiels :
- Améliorer les conditions de travail, rechercher des gains de productivité dans la qualification et la mobilisation des savoir-faire et de l’intelligence des producteurs ;
- Redéployer (enfin !) l’industrie française et en particulier l’automobile vers des produits compatibles avec les contraintes écologiques : moteurs électriques, hybrides ou à gaz, et surtout le développement des véhicules de transport en commun.
La France a raté le tournant des années 80 pour sortir de la crise du fordisme, elle reste aujourd’hui verrouillée dans un modèle fondé sur une énergie à bon marché et dangereuse : le pétrole et le nucléaire. Il est vital pour l’industrie et l’emploi en France, mais aussi pour le bien-être de la population, qu’elle ne rate pas le virage de la sortie du modèle libéral-productiviste.
Alain Lipietz
Dernier ouvrage paru :
Green Deal. La crise du modèle libéral-productiviste et la réponse écologiste, éd. La Découverte.