Par Rémi Barroux pour Le Monde le 5 avril 2016 sur http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/04/05/notre-dame-des-landes-le-desaveu-des-experts_4896064_3244.html#wELsAZJMrkxlvD1W.99
L'aéroport Nantes-Atlantique, le 17 mars
C’est un carton rouge ou, à tout le moins, un éclairage nouveau sur le projet de construction du nouvel aéroport nantais à Notre-Dame-des-Landes. Et qui pourrait remettre en question le transfert de l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique vers ce petit bourg situé dans le bocage, à une quinzaine de kilomètres au nord de l’agglomération nantaise.
Dans un rapport très complet de plus d’une centaine de pages, rendu public mardi 5 avril, les trois inspecteurs généraux des ponts, des eaux et des forêts, missionnés par la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, le 13 janvier, retiennent deux possibilités : agrandir l’actuelle plate-forme aéroportuaire ou garder le site de Notre-Dame-des-Landes pour le nouvel aéroport, mais en en diminuant la surface et, de fait, l’impact environnemental. Sans préconiser un abandon, ils rejettent l’actuel projet, défendu par le gouvernement et le chef de l’Etat – François Hollande avait expliqué, le 11 février, qu’il s’agissait d’« un grand projet d’aéroport pour tout l’Ouest, engagé depuis des années » –, le jugeant « surdimensionné ».
« L’agrandissement et la rénovation des installations actuelles de Nantes-Atlantique permettraient d’accompagner la croissance du trafic. Les questions de bruit resteraient très prégnantes, précisent Pierre Caussade, Nicolas Forray et Michel Massoni. Le projet de nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes apparaît surdimensionné. Une redéfinition du projet avec une seule piste de 2 900 m de long et 45 m de large – au lieu des deux pistes de 3600 m de long dont une de 60m de large – ré »pondrait aux besoins au-delà de 9 millions de passagers, permettant de réduire les coûts et les impacts environnementaux et fonciers.
Selon les calculs des inspecteurs, le recalibrage du projet de Notre-Dame-des-Landes permettrait de diminuer son emprise de 200 hectares, sur les 1650 que compte aujourd’hui la zone d’aménagement prévue.
Pour Ségolène Royal, la mission répond bien à la question posée : « Y a-t-il un projet alternatif ? » « C’est un très bon rapport, incontestable, qui desserre l’étau du tout ou rien, qui dit qu’on peut recalibrer le projet et que l’aménagement de l’aéroport actuel n’est pas non plus impossible », a expliqué au Monde la ministre de l’environnement. Les trois inspecteurs soulignent cependant qu’ils n’ont eu que deux mois pour accomplir leur mission. Durant ce laps de temps limité, ils ont repris l’ensemble des études et documents produits par les porteurs du projet et les opposants et auditionné tous les protagonistes.
Mme Royal, qui n’a jamais caché ses doutes sur la pertinence du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, vieux de plus de cinquante ans et dont la déclaration d’utilité publique remonte à bientôt dix ans, a apliqué une méthode déjà éprouvée lors de la contestation du barrage de Sivens, dans le Tarn. Alors que le conflit s’était dramatiquement soldé par la mort d’un jeune manifestant, Rémi Fraisse, tué par les gendarmes lors d’une manifestation des opposants le 26 octobre, la ministre avait lancé une mission d’expertise qui avait proposé de redimensionner la « retenue d’eau », en la réduisant fortement et en la positionnant ailleurs.
« politique de vérité »
Une méthode clairement revendiquée aujourd’hui – un des trois inspecteurs, Nicolas Forray, a d’ailleurs travaillé sur l’expertise à Sivens. « J’ai réglé le problème de Sivens en pratiquant une politique de vérité, affirme Ségolène Royal. Il faut écouter, ne pas brutaliser les gens, établir la vérité des faits et des informations, etv arrive le moment où on met les choses sur la table, et il faut choisir. »
Le rapport, de fait, ne tranche pas, mais apporte de nouveaux éléments en ouvrant la voie à un possible réaménagement de Nantes-Atlantique, confirmant aussi le choix du site de Notre-Dame-des-Landes, « un compromis acceptable malgré les difficultés à ne pas sous-estimer ». De quoi satisfaire, espère la ministre, les deux camps, violemment opposés.
D’un côté, quelques deux cents anti-aéroport qui occupent la ZAD depuis près de 7 ans, forts du soutien de plusieurs dizaines de milliers de personnes, prêtes à rejoindre la bocage au moindre risque d’intervention policière. De l’autre, les collectivités territoriales, région, département, ville de Nantes, au Parti socialiste comme chez Les Républicains, qui ne cessent de réclamer le démarrage du chantier – annoncé par Manuel Valls pour l’automne – et, surtout, l’évacuation de la zone occupée.
« Le rapport ouvre une autre problématique, et tout le monde peut y trouver motif de satisfaction. Il devra être versé au débat. Et si les gens sont raisonnables, et en recherche d’une solution, cela peut débloquer la situation », espère Mme Royal.
Mais à la question qui devrait être posée aux électeurs du département de Loire-Atlantique, lors du référendum – « Êtes-vous favorable au transfert de l’aéroport vers Notre-Dame –de-Landes ? » chaque camp trouvera dans le rapport matière à alimenter ses thèses.
Première hypothèse, le réaménagement de l’actuel aéroport. Il faudrait rénover la piste et agrandir l’aérogare, prévoir la mise en silo des parkings, allonger la ligne de tramway qui s’arrête à quelques kilomètres de l’aéroport, ou encore mettre en place de nouveaux instruments de guidage qui permettraient de modifier les procédures actuelles pour les mouvements d’avions. Les inspecteurs soulignent, au passage, que la mise en conformité de ces procédures devra être posée, car « indépendamment de l’option retenue, il est maintenant évident que l’exploitation de Nantes-Atlantique se poursuivra bien au-delà de l’échéance de fin 2017, prévue dans le contrat de concession ».
« À partir de l’estimation de la direction générale de l’aviation civile, l’ordre de grandeur des coûts d’investissement correspondant à l’horizon « 7 millions de passagers [en 2015, le trafic était de 4,4 millions] a été évalué à 300 millions d’euros TTC, compte non tenu des conséquences financières des travaux sur l’exploitation de l’aéroport [l’activité de celui-ci pourrait être interrompue durant la réfection de la piste par exemple]. »
Polémique sur les coûts
Deuxième hypothèse, la construction d’un nouvel aéroport. Le choix de Notre-Dame-des-Landes est, bien sûr, passé au crible par les auteurs du rapport, qui regrettent que le cahier des charges initial – un aéroport international destiné à accueillir « les avions gros-porteurs des lignes intercontinentales » - n’ait pas été réévalué au fil du temps. Le projet a été conçu dans les années 1960, notamment dans la perspective d’accueillir le Concorde.
Néanmoins, la mission valide « l’utilité économique du projet » en le revoyant à la baisse. La suppression d’une piste pourrait se traduire par une réduction de 10% des coûts de ce chantier, estimé à 364 millions d’euros dans le dossier de concession. Un coût largement réévalué depuis. Les opposants au transfert évoquent, eux, un différentiel bien plus important entre les deux projets, si l’on prend en compte, notamment, la construction d’infrastructures de transport nécessaires à la desserte du nouvel aéroport : « Conserver et rénover Nantes-Atlantique coûtera huit à dix fois moins cher que de construire à Notre-Dame-des-Landes. »
Le transfert vers Notre-Dame-des-Landes signifierait-il la fin des activités aéroportuaires à Nantes-Atlantique ? Alors que l’hypothèse d’un maintien de la piste pour l’usine Airbus, en bordure du terrain, est fréquemment évoquée, la mission suggère la fermeture de la plate-forme aéroportuaire. Les inspecteurs suggèrent d’étudier d’autres scénarios, comme le transport des éléments d’avion par barge sur la Loire jusqu’à l’autre complexe d’Airbus à Saint-Nazaire, ou l’utilisation de convois routiers exceptionnels.
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Avis des experts désavouant le projet Notre-Dame-des-Landes : la France doit abandonner ce projet dépassé et inutile
Communiqué d’Europe Écologie Les Verts le 5 avril 2016
Après l’avis unanimement négatif rendu par le Conseil National de la Transition Energétique sur le projet de consultation, le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes soutenu par le gouvernement vient d’essuyer un nouveau désaveu : les experts mandatés par la ministre de l’Environnement le jugent « disproportionné ».
Conçu dans les années 1960, notamment dans la perspective d’accueillir le Concorde, ce projet est daté, coûteux et représente un non-sens écologique. Il est inenvisageable que des terres agricoles et des zones humides d’une biodiversité inestimable soient sacrifiées pour un aéroport inutile. Si l’accord de la COP 21 doit signifier quelque chose, le Président de la République François Hollande doit abandonner officiellement ce projet aberrant afin d’envoyer un signal fort de la France au reste du monde sur la cause environnementale et climatique.
Ce rapport d’experts vient également conforter l’alternative proposée depuis des années par les opposants au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, à savoir l’optimisation de l’aéroport de Nantes-Atlantique, option qui préserve les terres agricoles et la biodiversité.
En l’état et après ce rapport, la consultation citoyenne projetée par le Président de la République devient obsolète. La priorité devrait être la remise à plat du dossier.
Les écologistes continueront d’appuyer la mobilisation populaire et pacifique contre un projet absurde, symbole et symptôme du monde d’hier et de tous les grands projets inutiles et imposés.
Julien Bayou, Sandrine Rousseau, porte-parole nationaux.